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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/708

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toujours, comme les écrits de Sainte-Beuve et la correspondance de Lamartine en témoignent, aux romans de Mme Cottin et de l’abbé Prévost. Je ne puis du tout, d’ailleurs, lui accorder que, dans Indiana, dans Valentine, dans Jacques, les idées soient « puériles » et les sentimens même « presque vulgaires. » Encore moins puis-je voir les chefs-d’œuvre de George Sand, quoi qu’il en dise, et même si j’aimais ces idylles trop poétiques, dans la Petite Fadette et dans Français le Champi. Et peut-être qu’enfin, pour juger George Sand, comme aussi bien tout romancier, il ne faudrait pas s’enfermer dans son œuvre, mais, au contraire, après l’avoir lue, s’élever au-dessus d’elle et la résumer par ses traits essentiels. M. Faguet, dans cette étude, me semble avoir tenu trop de rigueur à George Sand de la fable de ses romans, ou du moins y avoir attaché trop d’importance, et sans faire attention qu’il y a toujours dans le roman comme dans le drame ou la comédie une part d’artifice, de convention et de métier qu’une critique impartiale doit commencer par négliger.

Son Balzac est bien meilleur, et le commencement en est tout à fait heureux. « C’est un singulier caprice du fabricateur souverain, y dit-il, que d’avoir uni un jour le tempérament d’un artiste et l’esprit d’un commis voyageur. Balzac a été vulgaire et pénétrant, grossier et subtil, plein de préjugés sots, et, tout à coup, infiniment clairvoyant et profond. Sa platitude confond, et aussi son imagination. Il a des intuitions de génie et des réflexions d’imbécile. C’est un chaos et un problème : essayons de les démêler. » Nous, voilà loin, en quatre lignes, de M. Taine et de M. Zola, pour ne rien dire de Gautier, dont je ne sais si M. Faguet a connu la curieuse étude. S’il faut opter, nous sommes avec M. Faguet, et nous, pensons que rarement on a dit en moins de mots tout ce que fut Balzac et tout ce qu’il n’est pas. Aussi bien, quant à la nature et au mode de son influence, M. Faguet dans son Avant-propos ne les avait-il guère moins heureusement caractérisés. « Balzac, né réaliste, mais sans goût, a donné dans le romanesque le plus faux, ne s’en est jamais détaché complètement ; mais parce qu’il n’était supérieur que dans les parties, de son, œuvre qui sont réalistes, il a vraiment fondé cette école nouvelle, déclinante, à son tour, au moment où j’écris. » A la vérité, de ceci, je suis moins sûr que ne l’est M. Faguet, et, pour moi, nos naturalistes procéderaient plutôt ou surtout de Flaubert, qui lui-même débuta par l’être quasi sans le savoir et certainement sans le vouloir, mais, pour le surplus, on ne saurait trop le redire avec lui : ce qu’il y a d’original et, comme tel, de vraiment supérieur dans Balzac, c’est la représentation de ce qu’il y a d’inférieur dans l’humanité, les passions tournées en monomanie délirante ; les vices, les ridicules, la maladie, la laideur, la monstruosité.

Notez que c’est beaucoup, que M. Faguet ne le nie point, et qu’il reconnaît volontiers le « génie » de Balzac. Il ne lui refuse, on l’a vu,