Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Vous ne vous méprendrez pas sur la pensée qui me fait aborder dans ma correspondance des questions d’une nature aussi délicate. Vous savez, de longue date, que je ne recule pas devant l’accomplissement d’un devoir. Puisse l’empereur, avant de disparaître de la scène, reprendre son prestige et donner un énergique et éclatant démenti à ceux qui basent leurs calculs sur nos défaillances[1] ! »

Tous les hommes politiques en Europe prévoyaient soit une crise à Paris, soit un choc entre la France et la Prusse, en dépit de la volonté de leurs gouvernemens. La guerre apparaissait comme une conséquence fatale des événemens de 1866, qui avaient laissé la France enfermée dans ses limites anciennes et privée de toute espérance, tandis que la Prusse s’était agrandie démesurément. Le cabinet de Berlin, bien qu’il ne voulût pas assumer le rôle de provocateur, la tenait pour inévitable. Il y préparait l’opinion publique en entretenant la confiance de ses partisans dans l’invincibilité de ses armes. Il exaltait l’organisation militaire de la Prusse, il démontrait qu’à tous les points de vue elle était supérieure à celle de la France. Il s’efforçait, par tous les moyens, d’accréditer cette conviction en Allemagne ; il y trouvait l’avantage de porter atteinte à notre prestige, de surexciter l’orgueil germanique, d’entretenir les passions belliqueuses et de décourager ceux qui spéculaient sur notre intervention.

Notre diplomatie ne pouvait se méprendre sur cette tactique, elle la relevait dans ses correspondances. « Les critiques dont notre armée est l’objet, écrivait-elle, sont trop persistantes, et l’action qu’elles exercent sur l’opinion publique et sur les gouvernemens en Allemagne, trop manifeste pour que je ne me fasse pas un devoir de vous les signaler. Le gouvernement de l’empereur jugera dans quelle mesure elles sont autorisées.

« On fait ressortir avant tout les excès de notre centralisation et les défectuosités de notre endivisionnement; on prétend que les maréchaux placés à la tête de nos circonscriptions militaires n’ont que l’ombre du commandement, qu’ils sont en lutte constante avec les armes spéciales, qui ne relèvent que du ministère de la guerre, et qu’ils ne sauraient prendre une mesure de quelque importance sans en référer à Paris.

« Bien supérieure serait l’organisation prussienne. L’armée serait divisée en corps distincts indépendans les uns des autres; leurs chefs exerceraient le commandement sous leur responsabilité dans toute sa plénitude ; ils décideraient de toutes les questions qui concernent leur administration.

  1. Dépêche de Francfort.