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outre, beaucoup d’argent, et les ressources des missionnaires sont loin d’être illimitées. Lorsque l’on a pu essayer dans de bonnes conditions, le succès n’a pas manqué. Le bel établissement des jésuites à Siu-kia-weï, près de Shanghaï, en est la preuve. S’inspirant des traditions de leurs devanciers contemporains de l’empereur Kang-hi, les pères de la compagnie de Jésus ont créé un magnifique collège où les jeunes Chinois peuvent recevoir, en même temps que l’enseignement religieux, une haute instruction scientifique. Au collège est adjoint un observatoire qui est en communication par le télégraphe avec tous les ports de l’extrême Orient : c’est là que le révérend père de Chevrens a commencé et poursuit encore ses remarquables études sur les typhons ; c’est de là qu’il envoie des bulletins météorologiques qui rendent à la navigation des services toujours croissans. Je l’ai déjà dit : la science, — surtout l’astronomie, les-mathématiques et leurs applications diverses, — la science est le seul point sur lequel les Chinois reconnaissent la supériorité de l’Europe. Nos fois, notre morale, notre philosophie, nos religions, ne leur inspirent que du dédain. Mais quand ils voient un téléphone, quand on leur prédit la course d’un typhon, ils sont bien forcés d’avouer que tout ne se trouve pas dans Confucius. L’enseignement, surtout le haut enseignement scientifique, a un autre avantage. C’est que par lui, par lui seul, il sera peut-être possible d’agir sur l’esprit de la classe dirigeante. Là doivent tendre tous les efforts. Au point de vue d’une étroite théologie, une âme en vaut une autre, et autant vaut baptiser un porteur de chaises qu’un membre de l’académie des Hanlin ; mais la question doit être envisagée de plus haut. L’ère des grands progrès ne commencera pour le christianisme que du jour où il comptera parmi ses adhérens quelques membres de cette aristocratie intellectuelle, recrutée au concours, à qui sont confiées les destinées de l’immense démocratie chinoise. Ce jour-là, il appartient, croyons-nous, au saint-siège de le hâter, en apportant des tempéramens au régime de la bulle de 1742, qui établit une si déplorable incompatibilité entre les devoirs des mandarins et les exigences de la doctrine chrétienne.

Par la fondation du collège de Siu-kia-weï, par la façon pratique et intelligente dont ils dirigent les missions qui leur sont confiées, — sinon par leur nombre, — les jésuites ont repris la première place parmi les missionnaires de Chine. Leur succès est dû en grande partie à la façon dont ils savent former leur personnel. C’est seulement après de longues études, après des stages variés, le juvénat, les scolasticat, qu’un homme est dirigé définitivement dans la voie qu’on a reconnue la plus conforme à ses aptitudes : la prédication, l’étude,