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centre du domaine sacré et destiné à contenir une armée sacerdotale. Les prêtres issus de Sadok (le premier prêtre du temple de Salomon) ont seuls le droit de monter à l’autel. Les nombreux lévites, devenus inutiles depuis la suppression des lieux saints disséminés dans la province, et contre lesquels on avait un grief considérable, c’est qu’ils avaient servi des cultes passablement idolâtriques, constituaient une énorme difficulté. Nous avons vu Jérémie et le Deutéronome trancher la question de la manière la plus radicale. Tout prêtre, à leurs yeux, est un lévite, ou, comme ils disent, « un prêtre lévitique. » L’égalité parait régner entre ces prêtres lévitiques. Ce fut là, sans doute, l’expression d’un souhait, bien plutôt que l’assertion d’un fait. Le rédacteur du Livre des Rois, en effet, s’exprime ainsi : « Et Josias fit venir (à Jérusalem] tous les prêtres des villes et villages de Juda… Seulement les prêtres des hauts lieux ne montèrent, pas à l’autel de Iahvé, qui est à Jérusalem ; mais ils mangeaient, les massoth au milieu de leurs frères, » c’est-à-dire en famille. Ézéchiel admet parfaitement cette différence. Les prêtres sadokites sont seuls légitimes. Les lévites, ayant été les ministres de cultes illégaux, sont des servans d’un ordre inférieur ; ils ne figurent pas dans les sacrifices publics. Ils doivent habiter des villages à part aux environs de Jérusalem. Quant aux prêtres sadokites, ils sont égaux entre eux. Les sacrifices et les fêtes sont plus largement développés chez Ézéchiel que dans le Deutéronome ; la dîme n’existe pas encore. Il est pourvu à la subsistance des prêtres par les prémices et les redevances en nature sur les sacrifices.

Tel est ce code de la théocratie auquel les législateurs qui suivirent n’ont presque rien ajouté, mais qui constitua, au moment où il fut conçu, la plus complète des innovations. Jusque-là aucune distinction absolue n’avait été faite entre les prêtres et les lévites. Ézéchiel, mû sans doute par d’anciennes haines de sacristie remontant au temps de sa jeunesse sacerdotale, ne reconnaît comme véritables prêtres que les descendans de l’aristocratique Sadok. Cela était conséquent. Ézéchiel voulait une théocratie sacerdotale. Un corps de prêtres qui concentre entre ses mains toute l’autorité ne peut être nombreux. Ézéchiel n’arriva pas, au moins avant 575, à l’idée de ce grand-prêtre héréditaire que connurent les temps postérieurs ; mais il y touchait presque. En tout cas, Ézéchiel fut, sans le savoir, le père d’un mot qui eut un rôle considérable dans l’histoire. Sadoki fut par son fait la désignation du prêtre riche, orgueilleux, dédaigneux des pauvres gens. De là vint sadducéen. La concentration du sacerdoce lucratif en un petit nombre de mains ne pouvait avoir que de mauvais effets. Une aristocratie sacerdotale devient vite irréligieuse et mécréante.