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culte centralisé et solennellement organisé. On comptait peu alors avec l’invraisemblance. On supposa un temple avant le temple, sans se soucier des impossibilités que l’on soulevait. Nous n’affirmons pas que cette invention soit d’Ézéchiel ; mais il faut avouer que les descriptions détaillées que nous avons de ce bizarre outillage sont bien conçues dans l’esprit même qui dicta à ce prophète tant de plans irréalisables et de chimériques combinaisons. On s’adressait évidemment à des lecteurs peu assidus des anciennes histoires ; car une telle conception était en contradiction flagrante avec les récits du temps des juges, de Saül, de David, même avec les récits relativement anciens de l’histoire de Moïse. Mais l’absence de critique et surtout le manque d’assemblage des textes laissaient place à tous les à-peu-près. Ce que l’un lisait, l’autre ne le lisait pas, et, de la sorte, le corps des écritures religieuses se grossissait de parties profondément contradictoires.

La disposition en carré parfait, comme un damier, du camp d’Israël est exactement du même ordre. Si Ézéchiel ne l’a pas écrite, il a dû sûrement concevoir une distribution analogue. Le tabernacle est au centre ; Iahvé trône ainsi au milieu de son peuple. La tribu de Lévi remplit autour de l’arche la position d’une garde de corps, et aussi d’une équipe de porteurs pour le tabernacle. Symétriquement, à l’entour, sont rangées les douze tribus. Juda, comme on devait s’y attendre, occupe la place d’honneur. L’auteur du Deutéronome avait eu un concept analogue et en avait déduit des règles de propreté, très particulières et qui font sourire. Mais, chez le rédacteur du code lévitique, cela devient un plan géométral absolument semblable à la carte de Palestine et à l’esquisse de la Jérusalem nouvelle d’Ézéchiel.

La description des habits sacerdotaux est de la même provenance que celle du tabernacle. Tout cela suppose un art du tapissier et du décorateur poussé assez loin. Les influences égyptienne, assyrienne, tyrienne, s’y croisent ; les données égyptiennes, cependant, l’emportent. Le goût égyptien dominait encore dans tous les ouvrages d’art et d’industrie. Un culte somptueux, un riche système de fêtes, étaient essentiellement dans l’esprit des organisateurs religieux de ce temps.

Nous avons vu Ézéchiel cantonner les lévites dans une partie déterminée du domaine sacré (évidemment aux environs de Jérusalem), où ils auront des villages pour demeures. Cette idée fut développée et aboutit, dans la nouvelle Thora, à la conception bizarre des villes lévitiques, autre impossibilité qui n’a jamais rien en à faire avec la réalité. On supposa que Moïse avait ordonné qu’après la conquête du pays de Chanaan, on séparât des