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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/855

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849.
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE D’ALLEMAGNE.

avait fait enlever et charger sur des bateaux à destination de Constantinople des statues qui ornaient la ville, comme un propriétaire dépouille une vieille résidence au profit d’une nouvelle.

Le pape avait aussi à compter avec l’exarque de Ravenne. Il lui donne les marques du plus profond respect. Il va au-devant de lui en grand appareil quand cet officier visite Rome, où il ne parait guère que pour faire du mal, piller le trésor de l’episcopium, enlever un pape, essayer d’en assassiner un autre ou se faire payer la ratification d’une élection. Depuis l’année 685, en effet, ce n’est plus l’empereur qui permet l’ordination, c’est l’exarque. Nous avons encore les formules par lesquelles l’élu sollicitait la confirmation : elles sont très humbles, et la papauté n’a rien gagné à ce changement ; le voyage de Ravenne était moins long que celui de Constantinople, mais le maître était plus proche et faisait mieux sentir son autorité. Ce ne peut être par hasard que, de l’année 685 à l’année 741, dans une série de huit papes, un seul se trouve être un romain, pendant que les sept autres sont des orientaux, grecs ou syriens. Si obstinée pourtant est la fidélité du pape envers l’empire, qu’il supporte sans se plaindre cette dépendance étroite. Au commencement du VIIIe siècle, le pape Constantin reçoit une « lettre sacrée » par laquelle Justinien II « lui ordonne de monter vers la ville royale, » et le très saint homme, nous dit son biographe, « obéissant aux ordres de l’empereur, fait aussitôt préparer des navires. » Il va jusqu’à Nicée chercher le βασιλεὺς, qui lui prodigue les démonstrations de sa déférence et les effusions de sa tendresse ; les deux personnages « se précipitent dans un embrasseraient mutuel. » Ce Justinien II était un détestable prince. Battu par les Arabes, auxquels il avait manqué de parole, haï à cause des excès d’une tyrannie néronienne, il était tombé entre les mains d’un révolté, Léontius, qui lui avait fait couper le nez et l’avait envoyé en exil. Il erra dans le pays des Khazares, où il prit femme, puis chez les Bulgares, qui lui fournirent quelques milliers d’hommes. Il reparut devant Constantinople : Léontius n’y régnait déjà plus ; Tibère III lui avait coupé le nez, — c’était la mode à Constantinople, — et l’avait enfermé dans un monastère. Justinien, rentré dans son palais, se fit amener Léontius et Tibère, et il célébra sa restauration par une grande fête donnée à l’hippodrome : il y parut assis sur son trône, un pied sur le cou de Léontius, l’autre sur le cou de Tibère. Après quoi, il se maintint par un régime de terreur. Bref, c’était un monstre ; mais le pape n’en a cure. Justinien est « l’Auguste, » et il traite, comme il convient, l’évêque de Rome ; c’en est assez pour que le Liber pontificalis,