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gouvernement que sa supériorité intolérante de toute opposition voulait taire prévaloir même contre la volonté nettement formulée du parlement. Le principal facteur de cette défaite écrasante a été la dislocation du parti libéral ; son principal résultat, le retour au pouvoir du parti conservateur et la disparition, au moins momentanée, de cette espèce d’engouement dont une partie de la population anglaise était si fortement atteinte et qu’on peut appeler la superstition gladstonienne.


I

Peu de parlemens ont débuté avec d’aussi brillantes perspectives que le parlement de 1880, qui ramenait M. Gladstone au ministère après une éclipse de six années. Le parti libéral avait une imposante majorité ; il comptait un grand nombre d’hommes de talent et d’énergie et avait à sa tête un chef d’une popularité extraordinaire, entouré de collègues remarquables par l’expérience, le caractère et l’autorité[1]. M. Gladstone était aussi réputé pour son habileté en matière de création législatrice que pour ses splendides facultés oratoires. Or que demandait le pays au nouveau gouvernement, sinon de reprendre la tradition interrompue par les six années de ministère du fameux Disraeli, de préparer et de voter de bonnes lois intéressant la vie intérieure des Anglais, réalisant des réformes depuis longtemps réclamées ? On était fatigué de la politique impériale de lord Beaconsfield, de ses entreprises téméraires dans les quatre parties du monde colonial, de ses coups de surprise sur le tapis vert du concert européen. Il y avait un arriéré considérable de législation domestique à liquider : amélioration du sort des classes pauvres, réduction des taxes, réforme et extension du système de gouvernement local, apaisement des passions en Irlande. Au dehors, on ne demandait au cabinet libéral que de calmer les alarmes de l’Europe, de rétablir des relations amicales avec toutes les puissances, de dégager la Grande-Bretagne de tout dessein trop hasardeux, de limiter au strict nécessaire ses efforts et sa responsabilité.

Tant de brillantes espérances ont abouti au plus piteux échec Aucune mesure de réforme, concernant le régime foncier dans le royaume-uni, ou l’extension du gouvernement local, n’a été votée. Les dépenses se sont accrues, et naturellement aussi les taxes. Le parti autonomiste en Irlande est devenu plus fort, plus hostile, plus intransigeant que jamais Les affaires étrangères et coloniales ont

  1. Lord Granville, lord Hartington, lord Selborne, le duc d’Argyll, MM. Bright, Forster, Chamberlain, Childers, sir Charles Dilke, sir William Harcourt, etc.