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Puisque nous ne pouvons nous passer de philosopher, il nous faut, dès l’enfance, une éducation philosophique. L’enseignement de la philosophie est un intérêt de premier ordre, même pour l’instruction privée ; il est, pour l’instruction publique, un intérêt indispensable. La philosophie avait sa place dans l’enseignement supérieur et dans l’enseignement secondaire de l’ancien régime; s’est fait sa place dans tous les enseignemens nouveaux qui se sont constitués, depuis la révolution, à côté de l’enseignement classique. Lorsque les sciences ont obtenu un baccalauréat indépendant du baccalauréat es lettres, il y a été introduit des questions philosophiques et, dans les classes qui y préparent, un cours de philosophie. Des questions du même ordre, réduites en apparence à la morale, mais embrassant la philosophie tout entière, se sont imposées à l’enseignement secondaire spécial et à l’enseignement secondaire des jeunes filles. Elles viennent enfin, sous ce ne nom de morale et avec ce même caractère d’une philosophie complète, d’entrer dans l’enseignement primaire lui-même pour les filles comme pour les garçons.


I.

Cette extension de l’enseignement philosophique ne s’est pas fait accepter sans opposition et de très bons esprits repoussent même, pour tous les degrés d’enseignement, l’introduction ou le maintien de cours de philosophie dans les écoles de l’état. L’enseignement officiel de la philosophie a trois sortes d’adversaires : des esprits positifs, des hommes de libre pensée et des hommes de foi. Les premiers le condamnent par des raisons d’utilité : les seconds et les troisièmes par des raisons de principe.

Les argumens d’ordre purement religieux ne méritent de nous occuper qu’autant qu’ils se confondent avec ceux des deux autres catégories d’adversaires de l’enseignement philosophique. On peut regretter que nous n’ayons pas une seule foi, comme une seule loi ; on peut travailler à rétablir l’unité de foi et conserver l’espoir qu’elle redeviendra la base de l’ordre légal ; mais, tant que la société se maintiendra sur sa base actuelle, la question ne peut se débattre que dans les termes où la posent les esprits positifs d’un côté, les rationalistes de l’autre : une philosophie d’état peut-elle garder sa place, utilement ou logiquement, dans une société qui a cessé d’admettre une religion d’état ?

La philosophie, disent les premiers[1], peut avoir sa valeur

  1. Quelques-uns des argumens que nous résumons ici ont été exposés avec beaucoup de force par M. Raoul Frary au chapitre XVI de la Question du latin. (Voir aussi les préfaces de la Psychologie anglaise et de la Psychologie allemande de M. Ribot.)