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comme servante ou auxiliaire de la théologie ; mais, comme science indépendante, elle n’est plus que la matière de discussions sans fin et sans profit. Ce qu’elle a de plus solide appartient à d’autres sciences et y trouvera un terrain plus favorable. La psychologie, dégagée des insolubles questions métaphysiques sur la nature de l’âme, n’est qu’une des branches de la biologie. Il faut la laisser aux naturalistes. La logique ne vaut que par l’étude spéciale des différentes sortes de méthodes. Il faut laisser cette étude ou plutôt ces études aux savans qui pratiquent chaque méthode et qui seuls ont compétence pour en comprendre et pour en expliquer le fonctionnement. La morale est partout à sa place, excepté en philosophie. Elle paraît toute simple et toute claire à une conscience droite et à un cœur honnête : elle se perd au milieu de vaines subtilités entre les mains des philosophes. La philosophie n’a qu’un domaine propre : c’est la métaphysique. Toutes les autres branches de connaissances qu’elle s’était appropriées tendent à s’en détacher, dès qu’elles passent de « l’état métaphysique » dans « l’état positif. » Or la métaphysique, c’est « l’inconnaissable. » Des esprits subtils ou, si l’on veut, de nobles esprits peuvent y trouver une pâture pour de hautes spéculations ; mais c’est viande creuse pour la masse des intelligences. Depuis qu’elle existe, la métaphysique n’a rien fondé qui ne soit sans cesse remis en question ; elle ne saurait prétendre à aucune certitude ; elle ne peut engendrer que le doute. L’histoire de la philosophie, on le disait déjà il y a deux mille ans, n’est que l’histoire des absurdités humaines. Des esprits pénétrans reconnaîtront peut-être, sous ces absurdités, des traits de génie ; mais, dans cette interminable succession de systèmes qui s’entre-détruisent tour à tour, les élèves de nos cours de philosophie ne verront guère que les erreurs. Leur ignorance se hâtera de condamner, sans connaître et sans comprendre, et l’enseignement superficiel qui leur aura été donné n’aura fait que les induire en une « malhonnêteté[1]. » Que si leur imagination se laisse séduire par les brillans dehors d’un système, ce sera pour leur raison un péril peut-être mortel. La plupart ne recueilleront de ce choc perpétuel des systèmes opposés que des leçons de scepticisme. Le scepticisme est la maladie du siècle : convient-il à l’état, en fondant, en entretenant des cours de philosophie, de propager une maladie non moins funeste pour l’ordre public que pour la vie privée ?

C’est aussi une maladie, non de notre siècle seul, mais de notre race que la tendance à transformer toutes les questions en questions philosophiques. Toutes les erreurs de la première révolution,

  1. l’expression est de M. Ernest Lavisse dans un article de la Revue politique et littéraire du 27 février 1880 sur le livre de M. Frary.