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côté de l’opposition défile un brillant état-major : M. John Morley, le fidèle lieutenant de M. Gladstone, qui prend à partie de son ton grave et tranchant la politique conservatrice ; lord Hartington, libéral si adouci que les tories le considéreraient presque comme un des leurs, s’il n’était foncièrement whig de famille et de relations personnelles, et s’il n’avait horreur du torysme dernier genre, créé par Disraeli, et remis à la mode par lord Churchill ; encore un modéré et un sage, M. Goschen, libéral indépendant, plus souvent amer que doux a ses collègues en libéralisme, esprit trop exclusivement critique, isolé d’ailleurs, sans clientèle. Voici lord Roseberry, et M. Childers, et sir William Harcourt, sir Charles Dilke, qu’un procès bruyant a fait rentrer depuis peu dans la vie privée ; M. Trevelyan, un des plus actifs aides-de-camp du général en chef ; enfin, le plus ardent de tous, M. Joseph Chamberlain, orateur véhément, clair, élégant, qui se multiplie, portant de ville en ville un évangile de réformes populaires, débitant de longues harangues, composées avec le plus grand art, promettant de guérir le fléau du paupérisme, séduisant les masses et inquiétant les propriétaires. M. Chamberlain n’a pas encore dépassé l’âge moyen ; son influence est déjà considérable ; c’est le futur chef d’un grand parti. Il préconise l’impôt progressif sur le revenu, l’achat forcé des terres aux propriétaires et leur location à bas prix par petits lots aux travailleurs, la gratuité absolue de l’enseignement.

Dans le camp opposé, les talens ne font point défaut. La note est donnée par lord Salisbury, sir Michael Hicks-Beach, sir Richard Cross, lord Randolph Churchill. On attaque la politique brouillonne et spasmodique de M. Gladstone, on raille les airs de croquemitaine de M. Chamberlain. Le mot d’ordre est de ne point chercher querelle aux nationalistes irlandais, quitte à rompre de temps à autre une lance en faveur de l’unité de l’empire. Les conservateurs se déclarent les vrais, les seuls amis des Irlandais en même temps qu’ils se vantent d’être aussi les seuls capables de réaliser les réformes radicales sans troubler les droits acquis ni augmenter les impôts.

Sur toute la surface du royaume se répètent ces refrains. Il y a plus de cinq cents circonscriptions électorales en Angleterre et en Écosse ; dans chacune d’elles, toutes les nuits, se tiennent plusieurs réunions, et dans chaque réunion de puissans orateurs sont on the stump. Et toujours il y a des auditeurs que ces flots d’éloquence n’arrivent pas à rassasier. La confusion des idées est grande. Car on s’adresse à deux millions d’électeurs nouveaux, sur les goûts, les tendances et les désirs desquels on ne sait absolument rien. Les ouvriers et les artisans des villes réclamaient depuis longtemps le droit de vote ; mais les paysans des comtés n’ont