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autonomistes, ou bien le gouvernement parlementaire était frappé de paralysie. M. Parnell savait bien que jamais les deux partis ne s’entendraient contre lui en dépit des belles phrases publiées à cet effet dans les grandes feuilles de Londres. Au contraire, il verrait chacun des leaders venant à tour de rôle lui demander à quel prix il se tiendrait pour satisfait. Il répondrait en exigeant le prix le plus élevé, et toute la question était de savoir lequel des deux partis se déciderait à capituler. M. Parnell, avec son bataillon d’autonomistes et sa tactique d’obstruction, déclarait en quelque sorte aux électeurs de toute la Grande-Bretagne : « Ne comptez pas que le parlement puisse jamais s’occuper d’aucune question de législation domestique, aussi longtemps que les Irlandais souffriront et que la question des souffrances de l’Irlande ne sera pas réglée. » Même les crimes agraires, les outrages, inspirés par la passion de l’indépendance ou par la haine du landlordism, font partie de cette mise en scène, agissant sur l’imagination des Anglais et des Écossais, leur rappelant constamment qu’il y a des Irlandais qui souffrent et qui ne veulent pas qu’à Londres, au parlement, on oublie qu’ils souffrent.


V

La première et unique session du onzième parlement de la reine Victoria s’est ouverte le 12 janvier 1886. Le ministère Salisbury ne pouvait se faire illusion sur les chances que les circonstances lui offraient de rester au pouvoir. Ces chances étaient nulles. Les libéraux l’emportaient largement par le nombre, les exigences des parnellistes rendaient tout accord avec eux impossible, du moins au point de vue où entendait se maintenir le marquis de Salisbury. D’ailleurs, il y avait déjà toute raison de supposer que M. Gladstone était résolu à courir la grande aventure et à faire aux autonomistes le sacrifice de toutes ses opinions passées concernant le home rule. Dès le 16 décembre 1885, des journaux avaient annoncé que M. Gladstone, désireux de régler la question irlandaise avant de quitter la scène politique, travaillait, en sa résidence de Hawarden, à un vaste projet d’autonomie politique pour l’Irlande ; que les détails de la combinaison étaient tenus soigneusement secrets, les lords Granville, Spencer et Roseberry étant seuls dans la confidence ; que rien ne serait révélé avant que le parti libéral fût revenu au pouvoir ; enfin, point capital, que le plan de M. Gladstone comprenait la concession d’un parlement irlandais indépendant.

Ces bruits pouvaient être controuvés ou simplement exagérés, bien que vers les fêtes de Noël, ils eussent pris une consistance qui ne laissait plus que peu de place au doute. Ils n’en plaçaient pas moins