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violente, plus acharnée sur cette malheureuse terre d’Irlande où règne M. Parnell. Le cabinet conservateur présidé par lord Salisbury, après quelques mois de répit, a fini par se décider à l’action, c’est-à-dire à la répression, pour rétablir un certain ordre, pour maintenir l’autorité de la loi, pour faire respecter et exécuter les contrats entre les propriétaires et les fermiers ; il a doubla la police et les forces militaires employées dans l’île sœur, il a interdit les réunions publiques, il a engagé des poursuites contre le député nationaliste Dillon. En un mot, le ministère semble résolu à combattre l’agitation irlandaise sous toutes les formes, à avoir raison du désordre par tous les moyens. Malheureusement, on ne peut avoir aucune illusion, la force ne sert à rien en Irlande, et au lieu de s’apaiser, l’agitation n’a fait que redoubler et s’exaspérer sous l’aiguillon des répressions nouvelles. De toutes parts la résistance à la force publique s’organise. Sur plusieurs points, notamment à Cork, il y a eu déjà des collisions où le sang a coulé. La ligue nationale, dont M. Parnell est l’âme et le chef, s’est plus que jamais remise à l’œuvre ; elle donne ses mots d’ordre aux fermiers, qui doivent refuser tout paiement aux propriétaires et verser une partie de leurs loyers entre les mains de la ligue elle-même, qui se charge d’avoir raison des landlords. Le mot d’ordre est ponctuellement suivi par la population rurale ; les expulsions par la force des fermiers récalcitrans recommencent, et, en définitive, c’est la guerre du home-rule contre toute autorité, contre le gouvernement, contre les propriétaires. Or, cette guerre une fois engagée, il reste à savoir ce que fera le gouvernement, ce que feront les partis pour pacifier ou contenir ce mouvement irlandais.

Ce qu’il y a de singulier, c’est l’attitude assez énigmatique de M. Gladstone, qui vit enfermé depuis quelque temps à Hawarden-Castle et garde le silence. Le « grand vieillard » ne parait nullement désavouer ses compromettans alliés du home-rule et ses amis les libéraux qui lui sont restés fidèles, qui parlent sans doute pour lui, persistent à défendre une politique qui est un évident encouragement pour les nationalistes irlandais. D’un autre côté, les nouveaux événemens de l’Irlande n’ont fait, à ce qu’il semble, que resserrer l’alliance formée aux élections dernières entre les libéraux qui se sont séparés de M. Gladstone et les tories qui sont au pouvoir. On en a la preuve la plus caractéristique par deux manifestations qui se sont produites ces jours derniers à Londres. Les libéraux dissidens, les « unionistes, » comme on les appelle, se sont réunis dans un grand meeting, et lord Hartington a été aussi net que possible. Il a déclaré sans détour qu’on se trouvait en présence d’un « conflit entre les forces de l’ordre et celles du désordre, » qu’on avait à tenir tête à une agitation qui conduisait à l’anarchie et qui était déjà elle-même l’anarchie, que le devoir de tout bon citoyen anglais était d’assister le