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il ne la dédaigne pas, il entend seulement qu’un empire comme l’Allemagne doit « exister avec sa propre force. » Quant à la partie financière, il s’en inquiète peu, étant d’avis, selon le mot du lansquenet allemand, que « les cartouches sont le papier le mieux côté au moment du combat. » M. de Moltke a parlé en chef militaire jaloux de l’intégrité et de la puissance de son armée. Il a peut-être aussi forcé les couleurs pour en imposer aux dissidens, pour mieux enlever le septennat et l’augmentation de l’effectif. Ce n’est pas la première fois qu’il tient ce langage. Il resterait à savoir ce qu’en pense M. de Bismarck, qui n’a pas paru jusqu’ici à Berlin, qui est resté enfermé dans une de ses résidences, à Frederiksruhe, et qui n’interviendra probablement que s’il voit le nouveau septennat en danger. M. de Bismarck est bien homme à faire vibrer la corde du patriotisme allemand, à invoquer, s’il le faut, lui aussi, les armemens des voisins. Est-ce à dire que, dans la pensée du chancelier, quel que soit son langage, s’il doit parler, on soit aujourd’hui plus que par le passé, à la veille du terrible conflit que prédit M. de Moltke ? On n’en est pas vraisemblablement encore là. Personne ne semble disposé à rouvrir légèrement l’outre aux tempêtes. Ces armemens dont se plaint le vieux maréchal de Berlin, qui sont, en effet, un lourd fardeau pour toutes les nations, peuvent être démesurés, plus ou moins bien entendus ; ils n’ont pas le caractère d’une menace contre l’Allemagne, ils ne sont en définitive pour d’autres qu’une mesure de prévoyance, un moyen de défense et de préservation. Tout ce qu’on peut en conclure, c’est que la situation reste certainement difficile, parce qu’elle est partout à la merci de la force, et c’est ce qui explique ces craintes vagues qui renaissent par intervalles, qui courent comme un frisson à travers l’Europe.

Il y a sans doute des conflits toujours possibles dans ce vieux monde européen si compliqué ; il y en a aussi qu’un peu de prévoyance et de prudence peut toujours détourner. Les nations contemporaines ne sont pas si pressées de se jeter à la légère, les yeux fermes, dans des luttes sanglantes dont personne ne peut prévoir l’issue. Elles ont assez d’autres affaires sérieuses dans leur existence intérieure pour ne pas tout risquer d’un seul coup dans les jeux de la force et du hasard. La France, avant tout, a un équilibre politique à trouver, un gouvernement à se créer, et ce n’est pas, il y parait bien, une œuvre facile. L’Angleterre, qui a un gouvernement, a devant elle, peut-être plus que jamais cette éternelle question d’Irlande qui renaît sans cesse, qui est une épreuve pour l’unité de l’empire britannique, qui a commencé par mettre la confusion dans les partis. Avant que le parlement se retrouve à Westminster, peut-être cette crise irlandaise sera-t-elle encore aggravée, et l’Angleterre se trouvera-t-elle en face de difficultés nouvelles. La lutte, en effet, semble près de renaître plus