avait mis son point d’honneur à rendre par ses côtés les plus sombres la grande figure d’Alceste. Cependant l’héroïne d’Euripide est Grecque et non Romaine ; son sacrifice décidé, elle a des retours de faiblesse ; elle se prend à pleurer sur ses enfans et sur elle-même ; c’est par tout ce qu’il lui coûte de larmes que son dévoùment est sublime. Ce combat de tous les instans, ce drame intérieur, qui donc mieux que le compositeur pouvait en noter les péripéties ? Peut-être Gluck a-t-il trop négligé ce puissant moyen de varier les effets et de tenir le spectateur en haleine. Non pas qu’il n’y ait dans la partition des pages touchantes, même dans la version italienne, très inférieure pourtant à la française ; mais la note attendrie n’intervient qu’à point nommé, à l’appel du poète, quand on voudrait la trouver répandue à travers tout le drame ; en un mot, et pour dire toute ma pensée, il semble que la musique rappelle trop rarement qu’Alcesle est jeune et qu’elle est belle. Là, sans doute, est le motif de la froideur avec laquelle la pièce fut partout accueillie. Sans se torturer le cerveau à déduire toutes ces raisons, les dilettantes de Vienne reçurent l’impression d’une œuvre monotone et funèbre. Comme l’honneur d’Euripide était en jeu, il y eut des protestations dans le camp des lettres ; la cour, de son côté, fit ses efforts pour soutenir la pièce, mais sans y réussir absolument. On juge si Gluck fut affecté de ce demi-échec. Il en avait encore le ressentissement au cœur lorsqu’un nouvel insuccès vint, deux ans plus tard, raviver ses griefs. Paride ed Elena, représenté en 1769, était tombé, même assez lourdement. Mais aussi, Calzabigi ne s’était-il pas avisé de faire d’Hélène la fiancée de Ménélas, et, du berger troyen, un soupirant pour le bon motif ! La musique n’était guère moins bizarre : un mélange de banalités et de choses exquises. Jamais Gluck n’a déclamé de façon plus sèche que dans la longue suite de récitatifs qui remplit le deuxième et le troisième acte ; jamais il n’a fait revenir avec cette persistance les mêmes formules accablantes, et jamais, en même temps, il n’a plus approché de l’heureux abandon d’un H^ydn ou d’un Mozart que dans le sacrifice à Vénus du prologue ; tout le rôle de Paris est d’une charmante couleur ; celui d’Hélène, d’une insignifiance rare, sauf le court début du trio du quatrième acte, et le gracieux petit air pompadour du cinquième : Donzelle semplici. Dans les chœurs et dans les ballets, dans l’instrumentation et dans le style, mêmes surprises, mêmes disparates, une préoccupation constante d’Orphée, des ressouvenirs qui tournent au pastiche. Gluck jouait décidément de malheur. Comme il avait tort, il voulut s’expliquer, donner ses raisons. Déjà, en publiant la partition à’Alcestc, il avait mis le pied sur ce terrain de la dispute, fatal à tant de musiciens. Trop avisé pour tenir lui-même
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