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peuple n’est pas que les croyances soient divisées, mais qu’elles soient absentes, elle mit l’intérêt de la religion avant l’intérêt de l’anglicanisme. Celui-ci garda les honneurs, les richesses et la dépendance qu’un peuple peut préparer à une foi nationale. Mais les autres communions chrétiennes ont reçu, en ce siècle, le droit de célébrer leur culte, de l’étendre par leur propagande, de le perpétuer par leurs fondations. C’est un sentiment religieux qui a substitué en leur faveur à un régime de tyrannie le régime de la séparation.

Appliquée d’abord aux sectes dissidentes, la séparation s’est étendue à l’église anglicane elle-même. Au moment où l’Angleterre rompit avec Rome, l’Irlande, fidèle à son passé, avait fait un suprême effort pour sauvegarder à la fois son indépendance nationale et son indépendance religieuse. Vaincue, elle devint un territoire du royaume-uni, et par ce changement les catholiques, seule population de l’île, ne furent plus qu’une minorité dans un peuple protestant. Sous ce prétexte, l’église anglicane, apportée dans les fourgons des vainqueurs, devint sur ce sol comme sur tout sol anglais l’église établie, seule légitime, et reçut les dépouilles du culte condamné. Mais quand, après plus de deux siècles, le culte condamné obtint la licence de vivre, le sophisme que les catholiques étaient une minorité tomba devant l’évidence. Dans l’Irlande, aussi divisée du reste du monde par la race que par la nature, et malgré les efforts de l’état pour y attirer les Anglais par des places et des terres, les fidèles de l’église anglicane ne formaient pas le huitième de la population : là, c’est l’anglicanisme qui était une minorité. Il usurpait donc en Irlande les prérogatives de l’église nationale. La loyauté du peuple anglais a accepté la conséquence ; il y a seize ans, le disestablishment s’est accompli. La propriété ecclésiastique a été sécularisée, les dîmes supprimées, tous les anciens liens entre l’état et cette église rompus. Mais, en cessant de la traiter comme sienne, l’état n’a pas cessé de la tenir pour utile. Il ne s’est pas cru le droit de se détacher d’elle sans lui reconnaître les libertés les plus étendues, il ne s’est pas même cru le droit de la livrer sans aide aux premières difficultés de vivre. Tous les ecclésiastiques pourvus d’emplois au moment de la réforme ont eu leur traitement assuré pour la vie, l’église séparée a gardé ses temples, ses écoles, ses cimetières, et reçu une dotation de 125 millions[1].

Établie en Irlande, la séparation devait tôt ou tard s’étendre à tout l’empire et par la logique des mêmes causes. Là non-seulement le catholicisme, mais l’innombrable variété des religions protestantes

  1. Act to put an end to the establishment of the church of Ireland (32 and 33 vict., c. 42).