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fécondité des sectes : où le protestantisme l’emporte, il n’y a pas une religion qui triomphe, mais une religion qui se divise. Unis dans cette discorde par la croyance commune que chaque homme est l’interprète souverain de l’Écriture, ils n’auraient pu, sans offenser la foi de tous, adopter au nom de l’état une de ces confessions rivales. Favoriser celle-là était offenser les autres, condamner d’avance les sectes inconnues dont l’avenir tient en réserve les droits également légitimes, doter de privilèges au nom de la majorité la religion d’une minorité. Les soutenir toutes sans examen était compromettre l’autorité publique dans une complicité avec des cultes très contradictoires, quelques-uns peut-être ridicules ou dangereux. Enfin les fondateurs des États-Unis avaient souffert des maux que peut causer la confusion de l’église et de l’état ; venus pour acheter au prix de l’exil la liberté religieuse et la liberté politique, ils avaient conçu une société où l’initiative des individus devint la grande force ; ils ne demandaient à la puissance publique, restreinte en ses attributions, que de n’être pas un obstacle : pour maintenir leur culte, comme pour créer leur richesse, ils ne comptaient que sur eux-mêmes. Voilà pourquoi l’état en Amérique n’a pas le droit de rien faire « pour établir une religion ou pour en prohiber une[1]. » Mais ainsi séparé des églises, il ne se désintéresse pas de leur avenir. Sa législation non-seulement assure leur indépendance, mais favorise leurs progrès ; il respecte leurs ministres, il considère leur influence comme utile, nécessaire, et le proclame. Il demeure étranger seulement aux divergences qui séparent les cultes ; il fait adhésion publique aux croyances communes à tous. Le repos légal du dimanche, les jeûnes fédéraux, la prière mêlée à tous les actes de la vie publique attestent la foi du peuple à un Dieu, à une vie future, à la nécessité d’expier le mal. L’église peut être séparée de l’état, le christianisme demeure inséparable de la société.

Ce régime n’est pas particulier au nouveau monde et aux sociétés nouvelles. Celle qui met son orgueil à se dire la vieille Angleterre a accompli ou prépare la séparation de ses églises et de l’état. L’état pourtant y avait créé un culte auquel il donna le nom même de la patrie, pour mieux attester l’union du pouvoir politique et du pouvoir religieux. À cette époque, toute église était dominante ou proscrite, l’anglicanisme défendit longtemps contre toute dissidence sa cruelle orthodoxie. Mais peu à peu la certitude se fit que ces rigueurs ne ramenaient pas les esprits à l’unité, et qu’à interdire les cultes rebelles l’état servait seulement la cause de l’indifférence. L’Angleterre pensait que le plus grand malheur d’un

  1. Constitution des États-Unis, premier amendement.