Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/349

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’aboutît qu’à de nouveaux supplices, et si nous la mentionnons ici, c’est pour expliquer ce qui va suivre et la présence de Cavalier dans l’armée qui passa le Var, en 1707, et marcha sur Toulon.

Le duc de Savoie avait fait, en 1703, une défection audacieuse. Il avait joué gros jeu en rompant avec Louis XIV, sans autre motif avouable que l’ambition ; il en fut d’abord puni par l’occupation de la Savoie, par celle de Nice, dont la citadelle se rendit le 4 janvier 1706, enfin par la perte immédiate d’une partie de ses états en-deçà des Alpes et le siège de Turin. Mais la défaite de l’armée française d’Italie, suivie d’une retraite précipitée sur Pignerol et finalement d’une capitulation générale des points restés au pouvoir des Franco-Espagnols, consentie en mars 1707, ouvrait le chemin à une invasion austro-piémontaise; elle devint imminente par la concentration des forces ennemies vers les cols qui donnent passage du Piémont dans le comté de Nice, évacué aussitôt par le corps français ramené sur le Var. Le succès de la résistance, impossible au premier abord, tellement le Midi se trouvait dégarni, dépendait uniquement d’une rapide réunion de toutes les forces disponibles judicieusement employées, de façon à ne rien compromettre par précipitation, tout en usant des moyens les plus propres à entraver la marche de l’ennemi jusqu’au moment où l’on se trouverait en mesure de le faire reculer en lui imposant une retraite désastreuse. Catinat fut consulté le premier et consigna ses idées dans un mémoire qui existe au dépôt de la guerre[1]. Il craint qu’on n’éparpille les troupes, afin de couvrir Grenoble et Lyon ; mais il conseille, au contraire, de faire marcher vers le Midi tout ce qu’on a sous la main, et, avant tout, de fortifier Toulon en faisant entrer dans la place une partie des milices du pays et de sauver Marseille, dont le commerce, si cette ville était pillée, irait à Gênes et à Livourne sans jamais plus y retourner ; car, ajoute-t-il, « il suit beaucoup plus la liberté, le nombre et l’opulence des négocians que la situation des lieux. » Catinat, en mettant le doigt sur Toulon, avait eu un trait de génie. Chacun le comprit ; mais encore fallait-il rendre Toulon tenable jusqu’à l’arrivée des renforts. C’est à cela que fut employé fiévreusement le mois de juillet, il n’était que temps : le duc de Savoie et le prince Eugène, avec ses 30,000 hommes d’infanterie et 6,000 chevaux, suivis d’une flotte 47 vaisseaux, sous l’amiral Showell, étaient devant Nice, le 9 juillet, et, le 11, ils passaient le Var, en dépit d’un semblant de résistance que leur avait opposée le marquis de Sailly, à la tête de sept bataillons et de quelques milliers d’hommes incomplètement armés.

  1. Dépôt de la guerre, vol. 2041.