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noire, comme ils disent, par crainte que nous n’abusions de leur simplicité pour leur glisser de la fausse monnaie.

En parcourant les vallées solitaires de la montagne, nous avons traversé plusieurs cimetières bakhtyaris. Jusque dans ces dernières années, ils y élevaient des monumens dont le caractère les sépare de tous les autres peuples musulmans. Le plus souvent, sur la tombe d’un guerrier, se dresse une informe bête de pierre : c’est un lion qu’ils ont voulu représenter. Sur ces flancs sont gravées en relief toutes les armes du mort : fusil, sabres, pistolets, poignards. Sur d’autres tombes sont placées des stèles de pierre où le défunt lui-même est représenté soit à cheval, soit à pied. Aucun de ces monumens ne nous parut nouvellement érigé. Les habitans nous dirent d’ailleurs que, depuis une cinquantaine d’années, cette coutume avait disparu et que l’on se contentait aujourd’hui de placer une simple petite pierre sans inscriptions, sans ornemens.

Les rares voyageurs qui ont pénétré chez les Bakhtyaris se sont loués de leur hospitalité et de leur bon accueil. Ils sont loin de nous avoir produit une aussi favorable impression. A la vérité, ils n’avaient point encore vu de photographes ; le soin que nous mettions à préserver nos châssis de la lumière, notre rapidité à les cacher sans vouloir les leur montrer : tout cela leur semblait autant de pratiques mystérieuses et coupables.

Les 1,500 tentes de Malamir reconnaissaient une sorte de suzeraineté à un vieillard nommé Mollah Abbas. Le premier jour, nous fûmes bien traités; son fils lui-même nous servit de guide dans nos excursions ; mais lorsqu’il eut vu à quoi nous passions notre temps, il ne voulut plus revenir et nous laissa seuls retrouver notre chemin à travers un marais de plus d’un kilomètre de large et où les chevaux avaient de l’eau jusqu’au poitrail. Son attitude ne tarda pas à devenir tout à fait hostile. Il chercha querelle à notre domestique persan, et, violent comme un sauvage, il voulait le tuer, ce qui nous eût obligés à intervenir. La dernière journée de notre séjour se passa en orageuses disputes, et notre sortie du plateau de Malamir eut tous les caractères d’une expulsion.

Nous arrivons enfin à Kaleh-y-Toul, sorte de burg féodal qui défend de ce côté l’entrée de la montagne. Au bout d’un long plateau, sur un tumulus se dresse coquettement ce petit château blanc avec ses murs à créneaux et ses tours carrées; au pied, un village de cabanes. L’intérieur du château est rempli de serviteurs armés; c’est une véritable petite place de guerre. Nous entrons dans la grande salle où doit nous recevoir Darâb-Khan, le maître de céans. Tous les hommes du khan s’entassent dans la pièce et les questions habituelles vont leur train. Ils nous interrogent sur les talismans