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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/395

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que nous employons contre les maladies, et, par un échange de bons procédés, ils nous indiquent quelques recettes dans le genre de celle-ci : « On prend un œil de loup, on le fait dessécher; puis, au moment de s’en servir, on fait bouillir dans du fait et on boit. Après cela, on est certain de ne pas s’endormir tant que l’ennemi est dans le voisinage. »

Au moment où nous allons partir, une des femmes de Darâb-Khan nous envoie demander un talisman pour ramener à elle le cœur de son seigneur et maître. Il vient de prendre deux femmes plus jeunes qu’elle et, depuis ce jour, il s’est tout à fait refroidi à son endroit. Le domestique chargé du message nous présente en même temps le collier de la châtelaine en nous disant de choisir parmi les pierres qui le composent celles qui nous conviendront. Il y en a deux qui portent des inscriptions antiques. Nous répondons que si elle veut vendre ces deux pierres, nous les lui paierons et nous lui donnerons un talisman d’une efficacité extraordinaire. Mais elle voudrait avoir le talisman et ne point réduire son collier. Il est impossible de s’entendre. Le messager fait la navette entre elle et nous. Nous nous montrons impitoyables. Elle veut garder ses pierres. Eh bien ! nous garderons notre talisman. Une fois en selle, je songe malgré moi à cette dédaignée qui va continuer à promener dans l’enderoun silencieux sa tristesse et son abandon, côte à côte, dans une vie commune, avec ses deux rivales heureuses, qui seront à leur tour délaissées quand elles auront vieilli, ce qui arrive vite aux femmes d’Orient.

A mesure que nous avancions, les tribus devenaient plus sauvages, plus âpres au gain, les hommes regardaient nos bagages avec plus de convoitise. A chaque campement, au milieu des observations que suggérait notre arrivée, nous entendions cette phrase : « Le khan les envoie pour que nous les tuions, » ou bien : « Il faut les tuer. » Il est juste de dire que toujours quelqu’un de mieux informé imposait le silence. Leur défiance s’atténuait un peu au bout de quelques instans de conversation et tout se passait en petits vols, habilement exécutés, de sucre, de thé ou de menus objets.

Leur indiscrétion ne nous incommodait guère; car nous étions depuis longtemps habitués à prendre nos repas et à faire notre toilette devant une galerie de deux ou trois cents personnes. Ce spectacle leur causait d’ailleurs une telle joie qu’il eût été cruel de les en priver, si nous en avions eu les moyens.

Le jour où nous sommes sortis de la montagne fut particulièrement fécond en incidens. Partis un peu avant le lever du soleil, nous descendions le long d’un fleuve, l’Allar, au fond de la vallée d’abord, puis à travers la montagne, quand le cours d’eau devint trop encaissé. La chaleur ne tarda pas à devenir accablante. Pas de sentier,