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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/401

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12 juin, sous forme d’adresse aux électeurs du Mid-Lothian. Evitant toute défense de ses actes, de sa conduite, de ses intentions, il attaquait corps à corps le chef même du parti conservateur, rappelant sa fameuse phrase sur les vingt années de gouvernement fort pour l’Irlande. « Le peuple a à décider, dit-il, non pas entre le home rule et tel ou tel plan de gouvernement local de M. Chamberlain, de M. Trevelyan ou de lord Hartington, mais entre le home rule et la coercition systématique. Il faut choisir entre le plan des libéraux, qui éteint les revendications de l’Irlande, soulage ses souffrances, enlève tout prétexte à ses plaintes et assure entre elle et la Grande-Bretagne la véritable union, celle des esprits et des cœurs, et le plan des tories, qui est la coercition pendant vingt années, après quoi il serait temps pour le parlement d’examiner quel régime pourrait convenir aux Irlandais. Je sais bien que les conservateurs évitent le mot de coercition et le remplacent par quelque expression plus honnête, par exemple un gouvernement ferme. Mais le sens est le même : lois d’exception, justice sommaire, restriction à la liberté individuelle, application vigoureuse de tous les procédés qu’abhorrent les Irlandais, le tout pour maintenir cette union sur le papier dont on jouit depuis près d’un siècle, dont les merveilleux fruits s’étalent devant tous les yeux et qui, de son vrai nom, s’appelle la haine ! »

Ainsi le chef des libéraux partait en guerre en lançant aux électeurs ce cri : « Gladstone et conciliation ou Salisbury et coercition ! » et le chef des conservateurs se trouvait du premier coup réduit à la défensive, obligé de protester contre une fausse interprétation de ses paroles, de présenter une apologie, d’expliquer que ce n’est pas la coercition qu’il veut pour l’Irlande, mais une politique simple, ferme, conséquente avec elle-même, fondée sur le respect de la loi. M. Gladstone ne fut pas moins heureux dans ses efforts pour embarrasser dès leurs premiers pas ses deux alliés de la veille, ses adversaires du jour, lord Hartington et M. Chamberlain. A quoi bon discuter les clauses d’un bill qui n’existait plus, mort avec le parlement auquel il avait été offert et qui l’avait rejeté? Les électeurs n’avaient pas à s’occuper de controverses subtiles sur les détails d’un arrangement avec l’Irlande. Ils avaient à décider un seul point : l’Irlande doit-elle avoir une législature séparée et convient-il au peuple de la Grande-Bretagne que M. Gladstone soit chargé de préparer une nouvelle mesure en ce sens?

Mais il ne s’agissait pas seulement d’écrire, il fallait payer de sa personne, et M. Gladstone songea, moins que jamais, en dépit de ses soixante-dix-sept ans, à se soustraire à ce devoir. Il quitta Londres le 17 juin, se rendant en Écosse. Si, dans les classes éclairées, dans l’aristocratie, on ne parlait plus qu’avec dégoût de M. Gladstone