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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/426

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d’étoffe rayée déroulée devant soi. A gauche, s’étendent des prairies verdoyantes, égayées par des bouquets d’arbres ; une haie d’épines, d’un mètre d’épaisseur, les entoure. Au fond du tableau se déploie un ruban vert à larges festons : c’est la forêt de Marly.

Le campagnard que l’Anglais venait d’accoster paraissait n’avoir guère plus de vingt et un ans; il rappelait le beau type des moissonneurs de Léopold Robert; comme eux, il était grand et bien découplé, comme eux il avait la grâce, complément de la force, le teint basané, les yeux bleu foncé fendus en amandes et frangés de longs cils noirs comme sa chevelure, coupée en brosse ; le nez légèrement aquilin et la bouche cachée sous une fine moustache. Un chapeau de paille à larges bords, posé en arrière, une veste et une culotte de treillis, des jambières en cuir achevaient de lui donner un air agreste et des plus pittoresques.

Les trois cavaliers se mettent en ligne. Un petit groom, guindé et à cheval aussi, les suit à distance respectueuse; il est chargé du banc articulé, du plaid, du portefeuille et de la boîte à couleurs de miss Ethel.

Tout en chevauchant, M. Elsewhere interroge le cultivateur sur l’industrie agricole du pays, où il ne voit pas un pouce de terrain perdu.

Sa fille, miss Ethel, a tiré une lorgnette de l’étui qu’elle porte en bandoulière; elle cherche à s’orienter. Légèrement levée sur son étrier, elle demande à son tour si le bâtiment dont les murs blancs contrastent avec les remblais de sable rouge du chemin de fer et qui se trouvent à droite sont Marly ou Saint-Cyr? Bien qu’elle ait consulté la carte de son Guide, elle ne parvient pas à s’en rendre compte.

La question que miss Ethel vient d’adresser au fermier, met celui-ci tout à l’aise pour regarder le joli visage de son interlocutrice.

— D’ici, mademoiselle, on ne peut découvrir Marly ; les grandes constructions que vous voyez sont celles de l’Ecole militaire de Saint-Cyr. L’entrée en est rigoureusement interdite au public, mais les élèves manœuvrent parfois dans la plaine.

— Cette école, Ethel, équivaut à peu de chose près à notre Sandhurst ; c’est la pépinière des officiers français, reprit M. Elsewhere. En France, de même qu’en Angleterre, la jeunesse apprend, comme l’a dit saint Paul, « que la tribulation produit la patience, la patience l’épreuve, l’épreuve l’espérance. »

Pendant cet échange de paroles, un grand saint-germain de race très pure, bondit, jappe, gambade, et, s’arrêtant droit devant les étrangers, semble décidé à défendre mordicus par ses aboiemens le territoire de son maître, qui, visiblement embarrassé pour le