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maintenir à ses côtés, s’écrie vainement : « Tout beau ! A bas ! Ici ! » Mais l’animal n’entend à rien.

— Quelle belle bête ! dit l’Anglais.

— Comment se nomme-t-elle? demanda la jeune amazone.

— Mis… tral ! répondit crânement le campagnard. Pour rien au monde il n’eût osé avouer qu’elle s’appelait Miss ! Une fois tiré de difficulté par cette supercherie, il s’efforça, en appelant sa chienne, d’élider la désinence du nouveau nom qu’il venait d’inventer.

Tout en devisant ainsi, on arriva au sommet de la longue côte. Didier, indiquant du geste une ouverture pratiquée dans la haie, dit :

— C’est ici qu’il faut faire entrer vos chevaux ; vous suivrez ensuite le sentier à chariot à bœufs. Les arbres que vous apercevez là-bas abritent la fontaine où, sous Louis XV, on venait chaque jour de Versailles chercher de l’eau pour la table de Mesdames. Louis XVI donna la préférence à la fontaine Berthe, sur la commune de Saint-Nom. Si notre pays est dépourvu de cours d’eau, il est, en revanche, très riche en sources.

— Non pas en sources seulement, mais en souvenirs historiques et en sites pittoresques d’aspects variés, reprit M. Elsewhere. Ma fille a entrepris de faire les croquis des monumens et des points de vue les plus remarquables de Seine-et-Oise ; nous y aurons consacré près de deux mois et nous sommes loin de tout connaître. De vos côtés, il nous reste à visiter l’École de Grignon et Marly. Aujourd’hui, notre plan est de nous arrêter au Bosquet du roi. Merci, jeune homme ! Adieu !

On se sépara ; mais le fermier ne quitta des yeux la gracieuse amazone que lorsqu’un pli de terrain la déroba définitivement à ses regards. Peu après, M. Elsewhere et sa fille pénètrent dans une prairie à l’herbe haute, fine et lustrée ; Miss Ethel saute légèrement à bas de son cheval, s’approche de la fontaine, ôte son long gant de peau de Suède, présente à la source jaillissante la paume de sa main blanche, y trempe ses lèvres vermeilles, comme un joli oiseau plonge délicatement son bec dans une vasque.

Delicious ! exquisite ! s’écrie-t-elle.

M. Elsewhere ne paraît pas entendre les exclamations de sa fille. Il a tiré de sa poche le nouveau livre de l’archbishop Trench, où il cherche des textes pour ses sermons de l’Avent. Il le lit paragraphe par paragraphe, le ferme, le médite, allant et venant comme s’il eût appartenu à l’école des péripatéticiens.

Les peupliers cotonneux, aux feuilles d’argent, que la moindre brise tait frissonner, contrastent avec l’épaisse et sombre ramure d’un vieux noyer. Des saules noueux, mutilés chaque année par la serpe de l’élagueur, bordent la prairie. Ces estropiés sylvains, condamnés à rester petits, sont, comme on sait, l’une des caractéristiques