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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/429

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reconnaissent le jeune homme qui leur a indiqué le chemin du Bosquet du roi. A la vue des touristes, il se lève, les salue, tout en cherchant à apaiser les démonstrations de Mistral. Miss Ethel, en voyant les efforts du cultivateur, paraît reconnaissante de son empressement à lui éviter les ennuis d’un cheval excité qui hennit, piaffe et creuse le sol en signe d’impatience. Elle soulève ses paupières câlines, un sourire aimable et malicieux entr’ouvre ses lèvres roses; d’une gracieuse inclination de tête, elle fait un signe de remercîment au beau campagnard.

En ce moment, le brûlant soleil des premiers jours du mois d’août enveloppe miss Ethel d’un nuage d’or; le jeune cultivateur, la main posée en forme d’abat-jour au-dessus de ses yeux, semble ébloui par cette apparition rayonnante.

Pendant que les ouvriers font la sieste, leur maître n’ayant nulle envie de clore l’œil, se rend à la source du Bosquet, où il s’imagine, à tort, être attiré par la soif. Arrivé là, il aperçoit, sous une touffe d’herbes, un petit album en toile grise ; le nom d’Ethel est écrit dessus à l’encre rouge. Il ne saurait donc avoir de doute sur la propriétaire de cet objet. Piqué par la curiosité, il l’ouvre et continue ses investigations jusqu’à une pochette intérieure, d’où s’échappe la photographie de la ravissante Anglaise; au-dessous du portrait est cette signature : « ETHEL ELSEWHERE. PETERBOROUGH. » En contemplant cette charmante image, il se félicite de ne pouvoir la restituer à qui de droit, met l’album dans sa poche, va rejoindre ses gens, et, plein d’ardeur, les yeux brillans, il leur aide à charger la charrette qui s’enfaîte à vue d’œil.

A la tombée du crépuscule, il donne le signal du retour et cingle l’air de vigoureux coups de fouet, qui retentissent dans la plaine comme la décharge d’un fusil à magasin.

Au bout d’un quart d’heure de marche, on arrive à la Muleterie, vieux bâtiment construit en pierres de Chavenay sur lesquelles les siècles ont laissé leur patine grise et sévère. Suivant la coutume des temps passés, les murs sont épais et très élevés. Quelques rares ouvertures étroites, protégées par des barreaux de fer, y ont été pratiquées sans régularité aucune ; les fenêtres et les portes qui donnent sur une vaste cour intérieure, ne sont pas moins incohérentes. Ce grand corps de ferme datait évidemment d’une époque où, inversement à la nôtre, on n’avait nul souci de la façade. La porte charretière, haute de vingt pieds environ, donne issue à un porche long comme un petit tunnel : des générations de hiboux et d’hirondelles s’y perpétuent d’année en année. A la vue d’un intrus, celles-ci tournent effarées sous ce passage voûté et sombre ; des araignées géantes ont tissé là leurs toiles grises, que le vent coulis gonfle et balance comme les voiles de petites barques.