dut quitter la place sans tambour ni trompette. Cet hiver-là, Didier fut d’autant plus absorbé dans son travail, qu’il avait l’esprit moins partagé. Le mépris que lui inspirait la susdite vicomtesse avait fini par la chasser irrémissiblement de sa mémoire, à l’arracher pour toujours de son cœur ; aussi se sentait-il renaître ! Repris avec frénésie de ses aspirations champêtres vers la fin de juillet, il disait, comme un vieux général à la veille d’avoir l’oreille fendue, qu’il ne rêvait que d’aller planter ses choux !
Le jour de son arrivée à La Muleterie, sa tante, dès qu’elle l’aperçut, s’écria, comme dans le conte du Petit Poucet :
— Ah ! comme te voilà changé !
— Que voulez-vous, ma tante ! Quand on est coiffé du bonnet de docteur, il faut renoncer à porter les cheveux en brosse et la moustache en croc du sous-lieutenant.
Une fois arrivé dans ce milieu paisible, la mémoire de Didier se réveilla; une attraction irrésistible l’entraînait vers les lieux embellis par la présence de miss Elsewhere, vers l’endroit où ils s’étaient parlé pour la première fois, vers le sentier bordé de fleurs qu’ils avaient parcouru ensemble, vers le champ où ils s’étaient dit adieu; tout cela flottait devant ses yeux comme un nuage rose et, peu à peu, la plaine et les bois, le ciel lumineux et la brise embaumée l’enflammèrent de plus belle pour la gracieuse apparition, dont le souvenir renfermait pour lui des trésors de bonheur.
Didier était à La Muleterie depuis trois semaines à peine, quand il reçut une lettre de son meilleur ami, le comte Arthur d’Antac, secrétaire d’ambassade à Londres, qui lui rappelait la promesse d’assister à son mariage, fixé au Ier septembre. La fiancée portait un des plus beaux noms du faubourg Saint-Germain ; son père, malgré ses dix-huit quartiers de noblesse, n’en servait pas moins la république en qualité de ministre plénipotentiaire, habitué qu’il était et quoi qu’il arrivât, à tourner dans le cercle de la diplomatie, comme un cheval de manège.
A l’occasion du mariage de sa fille, il donna un garden party dans son hôtel de la rue de Varennes; une enfilade de cinq salons ouvrait de plain-pied sur un vaste jardin ; un orchestre de Tziganes, installé sur la pelouse, jouait, avec une fougue entraînante et un archet endiablé, des czardas et des marches.
M. D’Antac présente son ami M. D’Aumel d’abord à sa fiancée et ensuite à un essaim de jeunes miss, au-milieu desquelles trône, par droit de beauté et de grâce, la jolie Anglaise du Bosquet du roi. A sa vue, Didier a peine à réprimer l’émotion qu’il éprouve. Ses artères battent avec violence.
Ethel porte une robe de mousseline blanche, molle, brodée de fleurettes. Un bouquet de clématites est passé dans sa ceinture de