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élans, la scène marche, court à l’explosion finale. Elle commence par l’irruption de Dolorès chez le duc et l’apostrophe hardie : Etes-vous sûr de voir encor demain, Monseigneur? La suite est dure, résolue comme la haine de cette femme, tantôt avec des reprises de trouble et d’angoisse, bien rendus en cette phrase : Ah! je sais quel mépris vous allez concevoir à m’entendre ! tantôt avec des redoublemens de fureur. Tous ces récits sont d’un maître. Dès le premier aveu, l’épouvante saisit Dolorès ; un cri de remords lui échappe, un de ces cris que ne renierait pas M. Verdi. Il est trop tard ; Albe et ses officiers pressent la misérable et lui arrachent, haletans, les détails, les preuves du complot. Ici, même l’orchestration de M. Paladilhe est éloquente : le saxophone et les trombones se répondent, et l’opposition de cette menace sinistre et de ces éclats cuivrés renforce l’opposition des voix et la puissance de l’émotion. De nouveau, la phrase éperdue interrompt les confidences scélérates; elle encore reparaît à l’orchestre, mais plaintive, mais vaincue cette fois, pleurant tout bas la patrie livrée, humble comme le pauvre sonneur qu’elle semble n’avoir pu défendre. Enfin la phrase obstinée se redresse avec Dolorès au nom de Karloo; furieuse, elle brise le cercle de fer qui l’enserrait, et, sur le plus haut sommet de cette magnifique scène, elle allume le dernier rayon et la dernière flamme. Si M. Sardou, comme on le raconte, a voulu dans l’opéra garder toujours la première place, ici au moins elle lui a été ôtée.

Le musicien l’a conquise encore dans le quatrième acte, le plus beau. Les Flamands sont réunis à l’hôtel de ville, dans l’asile désert, dans le sanctuaire profané de leur liberté. Ils arrivent, annoncés par une mélancolique ritournelle de cor, et Rysoor leur parle. Ah ! la superbe harangue ! Après la page la plus dramatique de Patrie ! en voici la plus musicale. Une pareille inspiration est de celles qui brusquement élèvent le niveau d’une œuvre; c’est la montagne d’où l’on découvre les royaumes. Jouissons un peu de l’horizon : jusqu’à la fin de ce quatrième acte, nous sommes sur les cimes. Rysoor, le seul caractère créé par M. Paladilhe, se dresse ici de toute sa taille. Qu’il était périlleux, cet air, et quelle crainte nous avions de la bravoure trop ordinaire aux patriotes en musique ! Quelle surprise d’entendre de nobles accords, de suivre, après un récitatif auguste, une magnifique expansion de sentiment et de mélodie ! Les harpes vibrent, et sur leurs ailes monte la voix incomparable de M. Lassalle ; les trombones maintenant accompagnent de leur chant solennel les prophétiques visions, et, par leurs bouches de cuivre, chante l’âme de la patrie. Pour notre honneur et notre joie, plus d’un opéra contemporain touche, ne fût-ce qu’une minute, au génie. Patrie ! fait plus qu’y toucher par cet hymne admirable d’espérance et de liberté.

Le duo suivant entre Rysoor et Karloo renferme une plainte émouvante : Ah! malheureux que j’aimais tant! elle s’achève par une réminiscence