que nous lui avons déjà reprochée. Dans l’appel de Karloo à ses compagnons, encore des réminiscences, de Guillaume Tell cette fois, et des effets de hautbois un peu minces, mais du mouvement et de la chaleur. La scène du combat est supérieurement traitée. Partie de rien, et faite de presque rien : de quelques tambours et clairons, d’appels au dehors et de réponses d’orchestre, c’est une irrésistible progression de rythme et de sonorité. Vraiment ce quatrième acte est complet. Voici la scène du sonneur et l’appel de tous les Flamands à l’héroïsme d’un seul. Leur supplique est déchirante, surtout quand l’unisson des masses chorales pèse de tout son poids sur la faiblesse du pauvre Jonas. Dans l’attente du signal, sous les menaces du duc d’Albe, une seule prière jaillit de mille cœurs, si spontanée et si ardente, qu’on ne s’inquiète plus ici des réminiscences. Nous ne nous souvenons plus de nos souvenirs ; le souffle de cette inspiration les a tous emportés.
Jonas n’a pas défailli : le glas tinte lentement. Sur ses notes funèbres, Karloo lance une apostrophe de triomphe. Tuez, tuez l’homme! hurle le duc d’Albe ; un coup de feu retentit et les meurtriers apportent le cadavre du sauveur de la patrie. Alors les martyrs de l’heure prochaine s’agenouillent devant le martyr de la première heure, et Rysoor, au nom de tous, le salue et le remercie. Admirable sérénité, aussi voisine du génie que l’enthousiasme de tout à l’heure. Décidément, nous restons sur les sommets, et après un acte de cette envergure, M. Paladilhe a, comme ses héros, bien mérité de son pays.
Au début du cinquième acte, l’air de Dolorès a infiniment de charme; mais il n’est peut-être pas à la taille du personnage, de cette âme farouche, qui doit aimer, comme elle hait, démesurément. Par contre, le duo final grandit singulièrement Karloo. Les premiers récits du jeune homme disent avec gravité son repentir et sa résolution. Mais à son adieu, Dolorès répond par une provocation d’amour, et pour le reconquérir il suffit d’une phrase, exquise et tout originale, celle-là : Viens, nos maux sont finis, mon cher amour. Ah ! viens, je t’aime ! Un roulement de tambours annonce l’arrivée des condamnés; les prêtres chantent l’office des morts. Presque toute la scène est bâtie sur le Dies iræ tour à tour psalmodié dans la coulisse et paraphrasé par l’orchestre; voilà une véritable trouvaille. Au-dessus des rumeurs lointaines, dans cette maison déserte, le duo prend un relief étonnant. La déclamation en est vibrante et toute semée d’éclairs ; elle s’emporte en invectives, surtout à ces mots de Karloo, qui commencent un crescendo foudroyant : Je frapperai l’auteur de ce forfait. La péroraison est plus saisissante encore et traversée par un suprême appel de Dolorès à la pitié de son amant. Au Dies iræ succède un beau chant les héros marchant au supplice. Karloo d’abord jette ses imprécations au milieu de l’hymne stoïque ; mais bientôt il l’entonne à son tour, et dans une