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pas voir le fond, mais d’où montait un grondement d’eaux furieuses, elle occupait, au sommet d’un rocher à pic, un plateau relevé au nord et s’abaissant vers le sud par une pente rapide. Les angles du trapèze, dont elle présentait la figure, avaient une orientation à peu près normale; le maréchal, qui avait devant lui la face sud-est, la plus allongée, ne voyait la face nord-est qu’en raccourci; du point où il était, il ne pouvait pas deviner l’exacte direction des deux autres; mais l’inclinaison du plateau lui permettait de relever les principaux détails du plan qui se développait devant lui. A l’angle nord et bordant presque toute la face nord-ouest, s’étageaient les immenses constructions de la kasba; au centre, le palais du bey s’élevait au-dessus des maisons aux toitures de tuiles brunes, aux murs grisâtres, d’aspect sombre et sévère, et dont les mosquées aux coupoles écrasées, aux minarets d’un rouge terne, n’étaient pas faites pour égayer l’attristante monotonie. Malgré tout, le tableau ne manquait pas de grandeur, et le cadre qui l’entourait contribuait l’agrandir encore. A sa droite, au sommet de l’angle formé par la rencontre des faces nord-est et sud-est, le maréchal apercevait, jeté hardiment sur l’abîme, un pont que soutenaient deux rangs d’arcades, d’un travail romain, soutenues elles-mêmes par une arche naturelle, œuvre du torrent qui s’était ouvert un passage à travers le roc. Ce pont, el-Kantara, débouchait a l’issue d’un ravin qui séparait le Mansoura des hauteurs dominantes de Sidi-Mecid et dont les berges, couvertes d’aloès en quinconce, semblaient à distance être plantées de vignes. A gauche, presque au bas de la pente, au-delà des eaux, encore tranquilles, que le Roummel allait précipiter dans le gouffre creusé entre le Mansoura et Constantine, on voyait le grand bâtiment des écuries du bey, le Bardo, et plus loin, dans la même direction, mais à un niveau beaucoup plus élevé, k hauteur de Coudiat-Aty, devant laquelle se développait la face sud-ouest de la ville, dont aucun obstacle ne la séparait. A gauche encore, plus en arrière, par-delà les replis sinueux d’un affluent du Roummel, le Bou-Merzoug, tout au pied des hauteurs qui venaient mourir au confluent des deux cours d’eau, se dressaient des arcades monumentales, derniers restes d’un aqueduc romain.


IV.

Tandis que le maréchal Clauzel faisait cette reconnaissance attentive, l’armée avait commencé à gravir la pente du Mansoura, quand l’avant-garde, renforcée du 17e léger, reçut l’ordre de redescendre et de pousser jusqu’au Coudiat-Aty, dont l’occupation allait être d’une grande importance, si Constantine ne prévenait pas le danger qui la menaçait par une soumission dont le maréchal Clauzel ne désespérait