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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/534

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pas encore. Le Roummel ayant trop de profondeur au-dessous du confluent, le général ne Rigny fit chercher un gué au-dessus; tandis que les éclaireurs passaient le Bou-Merzoug qu’il fallait traverser d’abord, un coup de canon partit de la ville. Ce premier coup fit sensation; au gré de quelques optimistes, c’était le commencement d’une salve de bienvenue; un second coup retentit, les pessimistes affirmèrent avoir entendu un sifflement sinistre; au troisième coup, un fourrier du 17e léger eut la tête emportée par le boulet. Plus de doute possible, c’était la guerre. Au même instant, le drapeau rouge fut hissé au sommet de la kasba, et les pentes du Coudiat-Aty se couvrirent d’hommes armés qui se précipitaient pour défendre le passage du Roummel. Les tirailleurs de l’avant-garde les tinrent à distance, mais la rivière ne fut pas facile à franchir; on dut renoncer à faire passer sur l’autre bord les pièces de campagne affectées à la brigade de Rigny ; il fallut leur faire rebrousser chemin et les renvoyer au Mansoura, de sorte qu’en fait d’artillerie, l’avant-garde se trouva réduite à deux obusiers de montagne, à quatre fusils de rempart et à deux tubes de fusées. Le jour baissait, assombri par d’épaisses nuées d’où tombait la neige. Le Roummel passé, trois compagnies du bataillon d’Afrique, déployées en tirailleurs et protégées à gauche par la cavalerie, eurent bientôt refoulé l’ennemi, qui s’enfuit en grand désordre et rentra précipitamment dans la ville. Ce fut encore pour les optimistes l’occasion, la dernière, d’assurer que, si on avait suivi les fuyards, on serait entré pêle-mêle avec eux dans Constantine ; à quoi les pessimistes répondaient qu’on y serait entré peut-être, mais qu’on n’en serait certainement pas sorti, la tête sur les épaules. Le sommet du Coudiat-Aly était occupé par quelques tombeaux de marabouts, entourés de nombreuses pierres tumulaires; c’était le grand cimetière musulman de la ville. L’artillerie s’établit seule sur la crête avec son petit matériel; le bivouac des troupes, un peu en arrière, était ainsi disposé, de droite à gauche : le quartier-général, l’ambulance installée dans un marabout et couverte du côté de la campagne par les chasseurs d’Afrique, le bataillon d’Afrique, le 17e léger. Les spahis, le bataillon turc de Jusuf et la compagnie franche avaient été retenus en-deçà du Roummel par le maréchal.

Pendant ce temps, les corps de la brigade Trézel avaient pris sur le Mansoura les emplacemens indiqués par l’état-major. Au bord du plateau, le petit bataillon du 2e léger suivait du regard les mouvemens de la brigade de Rigny, lorsque le maréchal fit appeler le commandant Changarnier. « Vous voyez, lui dit-il en montrant le Bardo, ce grand bâtiment isolé; si nous pouvions y faire flotter notre drapeau, cela produirait peut être quelque effet sur la ville. Je ne sais si l’ennemi est disposé à le défendre. Voulez-vous