tout ce qu’il y avait d’hommes intelligens en France et en Algérie en sentit et en déplora le ridicule. Duvivier, qui fut bientôt après nommé colonel au 12e léger et maintenu en Afrique, était arrivé à Ghelma le 12 décembre. Jusuf, bien déchu de ses grandeurs et redevenu simple commandant de spahis, aurait dû l’y suivre ; mais il était retenu à Bône par une maladie qu’il était tout disposé, disait malicieusement le général Trézel, « à traîner en longueur, pour ne pas aller se mettre sous la verge de Duvivier. » L’irritation dans l’armée contre lui était grande ; c’était lui, non le maréchal Clauzel, qu’on rendait responsable des malheurs qu’avait entraînés l’expédition de Constantine.
Dès son arrivée, Duvivier se mit à l’œuvre avec une grande énergie. Le camp ébauché au mois de novembre prit une forme régulière ; un ancien puits retrouvé sous les décombres fut remis en état ; une rigole bien conduite amena les eaux d’une source captée à 1,400 mètres de distance ; il y eut des baraques pour les hôpitaux, pour les magasins ; on construisit des fours en maçonnerie ; la première distribution de pain fut saluée comme une fête par les troupes, qui, depuis longtemps, ne connaissaient plus que le biscuit. En même temps, les progrès moraux ne le cédaient pas aux progrès matériels. Duvivier, qu’on avait accusé à Bougie d’être intraitable avec les Kabyles, se montra tout le contraire à Ghelma, tout le contraire surtout de ce qu’avait été Jusuf. Il fit annoncer dans les tribus qu’il empêcherait toute exaction, toute injustice, toute atteinte aux droits des indigènes. Insensiblement ils se rapprochèrent ; bientôt ils vinrent trouver le commandant pour qu’il décidât de leurs contestations entre eux : « Tu es le sultan, lui disaient-ils ; tu nous dois la justice. » Comme il parlait l’arabe et connaissait assez bien le Coran, ses jugemens étaient généralement approuvés et respectés. Sa parole inspirait une si grande confiance que, dans un moment où l’argent lui manquait, des vendeurs de grains acceptèrent en garantie de leur créance un billet signé de sa main.
Lorsque, vers la fin de janvier 1837, le lieutenant-colonel Foy, envoyé en mission par le ministre de la guerre, vit Ghelma, il fut surpris de tout ce qui avait été fait en six semaines. La muraille d’enceinte, dont les brèches étaient fermées, avait 2 mètres 1/2 de hauteur et 1 mètre d’épaisseur sur 1,100 mètres de développement. Trois grandes baraques en pierre, pouvant contenir chacune 150 hommes, étaient achevées, d’autres étaient en construction. « L’occupation de Ghelma, écrivait le lieutenant-colonel Foy, a été une bonne opération de guerre ; elle a maintenu les tribus ; elle a changé la nature de notre retraite en faisant voir à j’ennemi que notre armée n’avait cédé qu’à la rigueur du climat ; elle maintient et effraie les populations jusqu’au Ras-el-Akba ; sans cette occupation,