Pour les Parisiens, il y a deux manières d’aller en Grèce : on peut traverser des pays allemands, descendre le Danube, gagner Constantinople et de là le Pirée; on peut aussi descendre par Marseille et prendre la mer ou mieux parcourir l’Italie sur toute sa longueur jusqu’à Brindisi et se diriger vers le Pirée par Corfou, le golfe et l’isthme de Corinthe. Dans le premier cas, on voit, dès l’entrée en pays allemand, les villes et les humains changer d’aspect; sur le Danube, l’image de la France s’éloigne dans la région des souvenirs ; à Constantinople, on trouve l’Asie et un monde où tout se fait et se pense au rebours du nôtre. Mais quand ensuite on passe du Bosphore au Pirée et à Athènes, on se retrouve subitement en France ; on n’est dépaysé que par les enseignes des marchands qui sont généralement en grec classique, assez souvent pourtant en français. Une autre chose déconcerte un peu le voyageur, c’est que le service des boutiques est fait par des hommes ; les femmes vivent encore retirées, elles ne viennent pas chaque matin comme chez nous faire l’ornement des magasins. On dit qu’elles ne tarderont pas à y venir et que, si une belle dame athénienne a besoin d’un mètre de ruban, elle cessera bientôt d’être servie par les grosses mains d’un homme barbu. Quand ce changement s’accomplira, c’est la dernière trace de l’islamisme qui aura disparu.
Tel est l’aspect extérieur des villes grecques, où quelques-uns ne voient qu’une peinture superficielle et sans fond; ils disent que les Grecs sont des Orientaux paresseux, distribuant leur vie entre les fêtes, le far-niente et l’agiotage. Il est certain que beaucoup d’entre eux sont négocians et financiers comme leurs ancêtres, que leur religion, comme les cultes antiques, multiplie dans l’année outre mesure les jours de chômage ; il est sûr que le Grec donne beaucoup de temps au tabac, au café et au raki (c’est l’absinthe des Orientaux), qu’il fait le kief en été comme les musulmans et qu’il discourt beaucoup, passionnément et sans profit sur la politique de M. Tricoupis et de M. Deliyannis. Nous ne devons pas être trop sévères sur tous ces points : car, sauf les fêtes religieuses bien déchues chez nous, nous avons les équivalons dans nos mœurs. Mais comme il y a chez nous autre chose que ces futilités d’apparence trompeuse, il y a autre chose aussi chez les Hellènes.
D’abord l’agriculture. Les voyageurs qui ont fait le tour de la Grèce en bateau et qui en ont vu les promontoires brûlés par le soleil et par les vents de la mer, sont incrédules quand on leur parle des forêts de l’intérieur. J’en ai parcouru de fort belles; la