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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/578

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Au moment du blocus, au moins inutile, infligé par l’Angleterre au petit royaume de Grèce, quand les Hellènes ont vu, d’une part, le vide ouvert devant eux par les dépenses militaires, et de l’autre, le terrible ralentissement d’affaires dont ils souffrent comme nous, ils ont été littéralement consternés ; on ne parlait plus que de désorganisation publique et de banqueroute de l’état. Or, il n’est pas probable que cet état cesse de faire honneur à ses engagemens, en supposant même que son crédit à l’étranger soit mort. Ses deux Amalthées, l’agriculture et la marine, sont florissantes. Les dernières récoltes ont été bonnes ; celle du raisin de Corinthe a surpassé toutes les précédentes. Quant à la marine grecque, elle n’a presque rien perdu dans la crise industrielle dont l’Europe et l’Amérique viennent de souffrir. En moyenne, le Grec paye 36 francs à l’état, tandis que nous payons à peu près 100 francs. Ceux qui prétendent à Athènes que le budget ne peut pas être augmenté se trompent; non-seulement il peut l’être, mais il peut l’être assez pour amortir la dette publique aussi vite que les États-Unis ont amorti la leur. Il faudra seulement peut-être modifier ou agrandir l’assiette de l’impôt.

D’ailleurs, il y a en Grèce des banques qui peuvent adoucir la transition entre les difficultés présentes et un état normal et prochain. A leur tête sont les trois banques qu’on pourrait qualifier de banques d’état, et qui sont la banque nationale, la banque ionienne et la banque privilégiée d’Épire et Thessalie. Le crédit de ces établissemens est très solide ; elles sont fort bien administrées. Tout traité, même gratuit, avec l’état donne à une banque nationale une force morale et un point d’appui meilleur qu’un grand nombre d’affaires privées lucratives. Ainsi la Grèce ne fera pas banqueroute, et les difficultés qu’elle traverse n’auront servi en réalité qu’à la rendre plus prévoyante. On verra dans la suite de cette étude que ces difficultés ne touchent pas encore à leur terme, et que la Grèce aura à faire de nouveaux sacrifices. Il n’y a aucun doute qu’elle les fera ; un peuple qui, par son travail et au milieu d’obstacles de tout genre, a su, en soixante années, améliorer son état matériel dans la mesure que nous venons de dire, et de rien faire quelque chose, ce peuple saura faire le reste quand il le faudra. Car tout ce progrès est fait en vue d’un autre auquel les Hellènes attachent le plus grand prix, le progrès moral et politique, dont il nous reste à parler.


EMILE BURNOUF.