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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/579

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LE ROMAN
AU
TEMPS DE SHAKSPEARE

Les libraires de Londres publient, chaque année, la statistique des ouvrages parus en Angleterre. On devine bien que le chiffre le plus élevé est atteint par les sermons et les livres de théologie ; nous sommes encore en présence de cette même Angleterre biblique chez qui, au moment de la réforme, parurent trois cent vingt-six éditions des Écritures en moins d’un siècle, et dont la littérature religieuse est si abondante que le catalogue du British Museum compte, en ce moment, vingt-huit volumes in-folio, au seul mot Bible. Mais, immédiatement après la théologie, dont la priorité est assurée pour longtemps sinon pour toujours, les chiffres qu’on rencontre sur cette liste publiée dans la patrie de Shakspeare, de Bacon et de Newton ne se rapportent ni au théâtre, ni à la philosophie, ni à la science, mais bien aux romans. Sans parler des contes pour les enfans, il a paru en Angleterre six cent quatre-vingt-quinze romans en 1885 : si bien que le critique consciencieux qui voudrait tout connaître devrait lire deux romans par jour, et n’aurait, pour se reposer, qu’un dimanche par quinzaine.

Cette passion pour le roman, qu’on ne trouve au même degré chez aucun peuple, n’a pris, en Angleterre, toute sa force qu’au XVIIIe siècle. À ce moment, les romans anglais firent, en Europe, l’effet d’une révélation ; on les porta aux nues, on les copia, on les imita, et l’on vit diminuer, pour un temps, la faveur dont jouissaient