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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/596

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préfaces à faire dresser les cheveux : « Place pour on soldat et un marin qui vous donne le fruit de ses travaux mis par écrit en plein océan ! » crie-t-il au lecteur au début de sa Rosalynde, et que les envieux fassent silence, sans quoi il les jettera, par-dessus bord « pour engraisser les morues. »

Après on tel avertissement il n’y a sans doute qu’à se taire, et il suffira d’ajouter qu’ayant publié encore des satires et des épîtres imitées d’Horace, des églogues, quelques autres nouvelles ou romans, deux ou trois drames incohérens dans l’un desquels une baleine vient, sans façon, vomir sur la scène le prophète Jonas, Lodge changea encore une fois de carrière, abandonna l’épée pour la lancette, se fit médecin, gagna une fortune et mourut tranquille, comme un riche bourgeois, en 1625.

Avec son ami Robert Greene, nous sommes en pleine bohème, non pas celle que Mürger a racontée et qui meurt à l’hôpital. L’hôpital correspond encore à des idées d’ordre et de règle ; on restait, sous Elisabeth, irrégulier jusqu’à la fin ; les gens de lettres qui n’étaient pas médecins comme Lodge, ou actionnaires d’un théâtre comme Shakspeare, ou subventionnés par la cour comme Jonson, mouraient de faim dans le ruisseau ou d’indigestion chez le voisin, ou d’un coup de poignard à la taverne. C’est là une des particularités de l’époque, elle distingue la bohème d’Elisabeth des autres bohèmes célèbres, celle de Grub street, qu’a connue le docteur Johnson, et celle du quartier Latin, qu’a décrite Mürger. Parmi les malheureux qui essayèrent, du temps d’Elisabeth, de vivre de leur plume, Greene lut un des spécimens les plus originaux de sa classe ; il se fit remarquer autant par ses extravagances de conduite que par son talent très supérieur à celui de ses camarades ; et ceux-ci avaient si bien le sentiment de coudoyer en lui un homme à part, un représentant curieux d’une race faite pour disparaître, qu’ils ont tracé, pour l’instruction de la postérité, son portrait moral et physique. « Il avait reçu de la nature, écrivait Nash, plus de vertus que de vices, et, en outre ; une gaillarde barbe rouge, pointue comme un clocher d’église, qu’il entretenait amoureusement sans la couper, et à laquelle on aurait très bien pu accrocher un médaillon, tant elle était longue et pendante… Quel bon garçon c’était ! » Ce bon garçon pouvait, toujours d’après Nash, écrire en un jour et une nuit un roman comme Ménaphon, qui est sa meilleure œuvre : « Il lui était bien indifférent de gagner de la réputation par ses écrits… Son unique souci était seulement d’avoir toujours dans sa poche de ces amulettes qui permettent de faire apparaître à tout instant, si l’on veut, un bon verre de vin. »

Ancien élève de Cambridge, ayant voyagé en France, en Espagne et en Italie, où il avait appris, disait-il, « toutes les sortes de vilenies