Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/597

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui sont sous le ciel, » il était, avec ses travers et ses vices et sa vénération pour la bouteille, grand adorateur des muses, et cela vaut bien quelque indulgence. Tout ce qu’il composait, il l’écrivait avec une passion exubérante ; romans, drames, chansons et confessions, tout ce qui sortit de sa plume en sortit alertement et sans efforts, et s’en alla par le monde tout couvert de fleurs, tout grisé de vin, tout entouré de musique.

Il ne faut pas demander beaucoup d’ordre à cette tête romanesque ; il n’en met pas plus dans ses romans que dans sa vie. Sans avoir un cœur haineux, il abandonne, après un an de mariage, sa jeune femme et son enfant qui venait de naître. Un sermon qu’il entend dans l’église Saint-André de Norwich le plonge tout à coup dans une de ces stupeurs mornes accompagnées de remords déchirans qui donnent déjà comme le pressentiment des grandes conversions de l’époque puritaine: seulement la sienne ne dura pas. il mourut d’indigestion, le 3 septembre 1592, chez un pauvre cordonnier qui l’avait recueilli par charité. De son lit de mort, il écrivit à sa femme, qu’il n’avait pas revue depuis six ans : « Doll, je t’en prie, par l’amour de notre enfant, pour le repos de mon âme, vois que ce pauvre homme soit payé; car, si lui et sa femme n’étaient pas venus à mon secours, je serais mort dans la rue. »

Greene, romancier, se rattache directement lui-même au cycle euphuistique et il en adopte le style. Il rappelle volontiers, dans le titre de ses romans, le nom d’Euphuès pour leur assurer la bienvenue auprès des élégantes. L’un d’eux, par exemple, s’appelle Euphuès et son avis critique à Philautus, 1587; un autre, Ménaphon, ou l’éveil donné par Camille à Euphuès qui sommeillait dans sa grotte de Silexédra, 1589. Comme Lyly, dont il continue la tradition, il a toujours un but sérieux ; et, lointain précurseur, lui aussi, de Richardson et de miss Edgeworth, il se donne la tâche de répandre dans le monde, à défaut de bons exemples, de sages conseils. Ainsi, sans parler du but que signale malicieusement son ami Nash, il écrit son Mamillia pour mettre les femmes en garde contre les dangers de l’amour; sa Broderie de Pénélope, pour faire connaître les vrais caractères de la perfection féminine. Son Pandosto, ou le Triomphe du temps montre que la vérité, si longtemps qu’elle reste cachée, finit sûrement, à la longue, par paraître au grand jour ; Palamède le forgeron apprend à s’occuper l’esprit d’une manière utile et agréable, etc. Ces intentions morales affirmées dès la première page, dans le titre même du roman, comme on devait le voir plus tard pourClarisse et pour Paméla, n’effrayaient pas du tout le lecteur, bien au contraire, et le lecteur n’était pas toujours un amateur quelconque de fictions, un désœuvré sans importance.