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Pandosto, ou le Triomphe du temps, autrement dit encore Dorastus et Fawnia, eut treize éditions et plut tellement à Shakspeare qu’il en tira la donnée de son Conte d’hiver, sans du reste prendre la peine de corriger l’histoire et la géographie fantaisiste de Greene, qui place la Bohême au bord de la mer.

Greene est un vrai poète ; aussi se distingue-t-il de Lyly par de lumineuses échappées, mais aussi par la plus profonde insouciance pour les réalités. Ses histoires se passent on ne sait quand, on ne sait où, chez des hommes tels qu’on n’en a jamais rencontré nulle part. Quant au style, il est du plus pur euphuisme, surtout lorsque les personnages sont d’un rang élevé. Son roman de Philomèle, ou le Rossignol de lady Fitzwaters, qui se déroule dans une Italie aussi imaginaire que la Bohême de Pandosto, n’est qu’une suite ininterrompue de comparaisons. « Plus les feuilles du maceron sont vertes, plus sa sève est amère, se dit Philippe, le mari jaloux ; plus la salamandre est loin du feu, plus elle a chaud... » Donc sa femme pourrait bien être d’autant plus perverse qu’elle paraît plus sage, il charge son ami Lutesio de la tenter, par manière d’expérience. « Lutesio, répond la dame à la déclaration du jeune homme, je vois bien que le chêne le plus robuste a de la moelle et des vers et que dans le plus beau frêne les corbeaux vont nicher... »

Ces observations paraissent sans réplique à Lutesio, et le mari partagerait sa conviction s’il ne réfléchissait que « l’onyx est d’autant plus froid au dedans qu’il est plus chaud au dehors. » Il faut recommencer l’épreuve, et l’ami revient à la charge : « Madame, quand on a été mordu par un scorpion, on ne peut être guéri que par un scorpion. »

« Je vois bien maintenant, répond la dame à ce compliment, que la ciguë, où qu’on la plante, est un poison, et que le serpent qui a les écailles les plus brillantes a le venin le plus terrible. » Quoi de plus certain? Mais cela empêche-t-il que l’alcyon couve quand la mer est calme et que le phénix ouvre ses ailes lorsque le soleil luit sur son nid? Voilà ce qu’observe le mari, et, se guidant d’après l’onyx, le maceron, etc., il renvoie sa femme après un semblant de procès.

Qu’en pense le peuple ? Il en pense « que tout ce qui brille n’est pas d’or et que l’agate la plus blanche a des veines noires au dedans. » Pendant ce temps, Philomèle, l’épouse chassée, se retire à Palerme, où ses connaissances en histoire naturelle lui permettent d’observer que plus on marche sur la camomille et plus elle pousse. A peine séparé d’elle, son mari perd sa confiance dans l’onyx et le maceron et part à sa recherche. Il ne connaît pas sa retraite; par bonheur, entre tous les chemins possibles, il choisit précisément celui de