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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/65

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Le 3, le gouverneur, en grande cérémonie, devant toutes les autorités, en présence des cadis de la ville et des grands de la plaine, donna solennellement l’investiture au nouveau bey, lui mit la gandoura sur les épaules et dans les mains un yatagan au fourreau d’or. Le général Rapatel fut chargé de l’escorter jusqu’au pied de l’Atlas. Dans la nuit du 5 au 6, une colonne de deux mille hommes, réunis au camp d’Erlon, se porta sur Haouch-Mouzaïa, où elle établit son bivouac; quand elle reprit, le lendemain, le chemin du camp, elle fut, comme d’usage, reconduite à coups de fusil par quelques centaines d’Arabes et de Kabyles. Le vieux Mohammed, n’ayant pas jugé prudent de s’engager dans le sentier du Ténia, revint à Boufarik avec la colonne ; il se proposait de gagner Médéa sans bruit par quelque chemin plus long, mais moins dangereux. En attendant, le général Rapatel, ne voulant pas laisser impunie l’insolence des Hadjoutes. qui, depuis la nouvelle de la Macta surtout, redoublaient d’audace, envoya contre eux le lieutenant-colonel Marey avec les zouaves, les spahis réguliers et les auxiliaires. S’il n’y avait pas eu la capture d’un marabout, Sidi Yahia, célèbre en ces parages, c’eût été une course inutile, comme tant d’autres: il est vrai qu’avec le marabout on avait pris ses chevaux et son bétail, qui comptait près de neuf cents têtes.

Irrité d’entendre toujours parler de ces Hadjoutes, qui, toujours battus et toujours fuyant, reparaissaient toujours, le gouverneur voulut leur infliger de sa main de maréchal une si bonne leçon qu’elle fût décidément la dernière. Par une heureuse rencontre, il allait avoir la chance de faire coup double, car le khalife d’Abd-el-Kader à Miliana, Sidi Mbarek-Mahiddine-el-Sghir, venait de descendre en plaine avec des forces considérables. Le 17 octobre, cinq mille hommes de troupes de toutes armes étaient réunis au camp d’Erlon. Le 18, au point du jour, le mouvement commença. Après avoir passé la Chiffa, on aperçut, au-dessus des gorges d’où sortent le Bou-Roumi et l’Oued-Ddjer, flotter les drapeaux rouges de Sidi Mbarek. A gauche, deux escadrons de chasseurs d’Afrique, auxquels s’était joint un peloton de la milice à cheval d’Alger, refoulèrent l’ennemi, que le 3e bataillon d’Afrique acheva de mettre en déroute: à droite, une autre charge, conduite par le général Rapatel en personne et soutenue par le 63e de ligne, eut le même succès. Le lendemain, on ne rit plus personne : Soumata, Mouzaïa, gens de Miliana, gens de la plaine, Hadjoutes même, tout avait disparu. La colonne alla devant elle jusqu’au lac Halloula, brûlant tout, haouchs, gourbis, meules et fourrages. Le 20, elle revint sur ses pas, achevant ce qu’elle n’avait pas détruit la veille; le 21, elle bivouaquait à Boufarik; le 22, elle était dissoute.

Alger était dans l’enthousiasme ; c’était le bruit commun par toute la ville que les Hadjoutes avaient été littéralement anéantis; la population,