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révélation, — à la condition toutefois que la révélation ne fût pas formulée en dogmes d’une précision trop inflexible. Depuis Culverwel, un disciple original de lord Herbert, jusqu’à Butler, en passant par Clarke, Locke et Berkeley, ç’a été l’effort principal de la pensée religieuse en Angleterre de montrer que la foi dit, avec plus d’autorité et en d’autres termes, les mêmes choses que la raison. Pour en donner la preuve, on rationalise quelque peu la foi, ou l’on étend outre mesure l’évidence de la raison. Ajoutant à celle-ci, retranchant à celle-là, on arrive à les rendre à peu près équivalentes. Ce compromis, qui finit par triompher, permit à l’esprit philosophique de ne pas cesser d’être croyant, et au chrétien convaincu de ne pas jeter anathème à la libre pensée. Berkeley lui-même n’en veut tant aux esprits forts que parce qu’il les prend pour des athées ; mais son indépendance de philosophe n’est nullement gênée par sa foi. Il n’est pas, comme Malebranche, obligé de se défendre sans cesse contre des tentations ou des reproches d’hérésie, ou, comme Voltaire, de sacrifier la religion révélée pour rester fidèle à ce qu’il croit être la raison.

Tout autre est le déisme anglais. Il minimise, si l’on peut dire, la foi religieuse en la ramenant à la mesure du raisonnable et du démontrable, en excluant la révélation, le mystère, le miracle : Christianity not mysterious, tel est le titre du célèbre ouvrage de Toland, qui va ouvrir le feu de la polémique et provoquer des réfutations passionnées. Toland, qui cite Spinoza, le grand ancêtre de la libre pensée en matière religieuse, avec un respect rare pour l’époque, part de ce principe que partout où il y a probabilité, non certitude, nous devons suspendre notre jugement. Mais, dans certains cas, le témoignage aussi donne une certitude, et comme la révélation ne repose que sur le témoignage, il faut que celui-ci soit digne de foi. A quelle condition le sera-t-il ? A la condition que les vérités prétendues dont il est le garant porteront « le caractère irrécusable d’une sagesse divine et d’une saine raison. » Par là se trouve exclu d’une religion véritable, non-seulement tout ce qui est contraire à la raison, mais aussi tout ce qui la dépasse. Et que devient le mystère? Il n’est plus que l’inconnu. Mais l’inconnu d’aujourd’hui sera peut-être le connu de demain. L’existence de l’Amérique était un mystère avant Christophe Colomb. De même, la révélation chrétienne était un mystère avant l’Évangile et les apôtres ; mais ce qu’elle apportait au monde ne pouvait être inconcevable sous peine de ne pas être la vérité. D’ailleurs, une chose n’est pas mystérieuse parce que nous n’avons pas une idée entièrement distincte de toutes ses propriétés ou de sa nature essentielle. Autrement, un caillou, un brin d’herbe, seraient pour nous de profonds mystères, et la science serait tout entière aussi mystérieuse que la