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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/662

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Dieu n’en est pas responsable. Obéir à la nature, voilà l’unique précepte de la religion, le résumé du culte universel. « Celui qui dirige ses appétits naturels de la manière la plus utile à la fois pour l’exercice de sa raison, la santé de son corps et les jouissances des sens (car ces trois conditions réunies constituent le bonheur), peut être certain qu’il ne pourra jamais offenser son créateur. En effet, puisque Dieu gouverne toutes choses conformément à leurs natures, il ne doit pas exiger de ses créatures raisonnables une autre conduite que celle qui est conforme à leur nature. » La religion consiste en quelques vérités que leur simplicité même nous porte à méconnaître. Elle se ramène à « une constante volonté de faire tout le bien possible, et de nous rendre ainsi agréables à Dieu en agissant selon la fin de la création. » Elle n’a pas besoin de miracles pour lui servir de témoignage; toutes les religions en ont d’ailleurs, et le seul moyen de distinguer entre les vrais et les faux, c’est de chercher si la doctrine qui les invoque en sa faveur est conforme ou non à notre raison. Le miracle est donc inutile, s’il n’est impossible, puisqu’une religion est jugée, non sur ces litres tout extérieurs, mais sur sa valeur intrinsèque. La loi naturelle, qui contient toute morale, contient aussi toute piété : il n’y a d’autre culte que de lui obéir. L’ascétisme, qui lui est contraire, est par cela même antireligieux. Le formalisme des sacerdoces ne l’est pas moins, et Tindal, à qui Voltaire emprunte peut-être sa haine du judaïsme, pourrait bien lui avoir inspiré aussi sa tendresse pour les Chinois. Voilà des gens qui ne s’embarrassent pas de pratiques absurdes, barbares ou sanguinaires! Confucius est le sage des sages; sa religion n’est que morale, et sa morale est tout humaine. Avec son positivisme utilitaire, la Chine apparaît aux déistes du XVIIIe siècle comme un pur foyer de lumière philosophique qu’aucune superstition n’a jamais terni. A vrai dire, on la connaissait peu; aujourd’hui, il en faudrait rabattre. Mais alors la Chine était un excellent argument de combat. En face de Confucius, le Jéhovah de la Bible, peu philosophe, du moins à la manière de Tindal et de Voltaire, fait pauvre figure. Et tous les Chinois, comme on sait, sont fidèles à la morale de Confucius, s’en tiennent là, ce qui les dispense entre eux des pieux massacres pour des dogmes inintelligibles, des Saint-Barthélémy, de l’inquisition. Plus un peuple est lointain, plus il est un auxiliaire commode à invoquer contre ce qu’on veut détruire chez soi.

C’est qu’en effet il s’agissait uniquement de détruire, non d’édifier. Le but n’était peut-être pas d’abolir tout entier le christianisme, mais d’en éliminer tout ce qui n’est pas la loi naturelle, c’est-à-dire, en définitive, tout ce qui fait de lui une religion. M. Leslie Stephen a sur ce point une pénétrante remarque. Le déisme, pris dans son