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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/663

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idée générale et chez ses principaux représentans, est la négation du progrès. Si la religion ne doit être que la morale, et si la morale est partout la même ; si la révélation naturelle de Dieu à l’homme a dû être complète et parfaitement claire dès l’origine, en sorte qu’elle se retrouve identique chez tous les peuples, malgré l’effort des sacerdoces pour la défigurer et la corrompre à leur profit, tous les cultes positifs, à mesure qu’ils se sont établis, marquent un obscurcissement de la raison et comme un recul du genre humain. L’échelle de la civilisation est précisément l’inverse de ce qu’on pouvait croire. Le sauvage est tout en haut : la nature chez lui rayonne encore dans toute sa pureté première. Le Chinois vient après, s’il est vrai qu’il s’en tienne à la morale. Juifs et chrétiens, avec leurs pratiques, leurs dogmes, leurs mystères, leur intolérance, leurs théologiens, sont aux derniers échelons. Seuls, de cette tourbe misérable que ronge et déshonore la superstition, quelques déistes, Tindal et Voltaire, par exemple, se dégagent, et montent avec effort vers les régions lumineuses où vivent, en plein ciel de la raison, les indigènes des îles Marquises et les disciples de Confucius.

C’est que la notion d’évolution est étrangère aux philosophes rationalistes du XVIIIe siècle. L’état de nature, dont pourtant Voltaire s’est moqué, leur apparaît comme un idéal dont la civilisation s’éloigne de plus en plus. Le paradoxe de Rousseau s’impose, qu’ils le veuillent ou non, à ces penseurs superficiels à qui le sens de l’histoire a si complètement fait défaut. Les orthodoxes avaient au moins le dogme de la chute, qui rendait possible et même nécessaire un relèvement, c’est-à-dire un progrès. L’humanité, pour eux, avait devant elle un but auquel la conduisait lentement et sûrement le doigt divin : le règne du christianisme sur tous les cœurs et sur toutes les volontés. Ainsi la position respective des adversaires était précisément le contraire de celle qu’ils semblent occuper aujourd’hui : les rationalistes avaient le regard tourné vers un passé chimérique ; les orthodoxes croyaient marcher vers un avenir divin. En tout cas, si quelques-uns de ceux-ci étaient tentés d’appeler aussi de leurs vœux la restauration d’un passé, c’était un passé du moins qui avait le mérite d’avoir sa place dans l’histoire ; c’était l’époque de simplicité, de foi, de vertus surnaturelles qui avait vu le christianisme s’établir et se répandre dans le monde païen.

Tindal fut combattu, mais avec moins d’âpreté que Toland. Les théologiens semblent, dès le début de la querelle, avoir épuisé toute la provision de leurs argumens. Ils ne font plus guère que se répéter. D’ailleurs, la théologie anglicane était, nous l’avons dit,