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jour, on était en voie d’accommodement; des paroles ou des lettres furent échangées. En examinant de près les derniers discours de M. de Bismarck, de subtils diplomates, qui se flattent de lire entre les lignes, ont cru pouvoir inférer de son langage et de certaines déclarations, qu’il a répétées avec insistance, que si l’Allemagne, contre toute vraisemblance, était attaquée par son voisin de l’ouest, la Russie resterait neutre ; que si elle était l’agresseur ou qu’elle eût des alliés, la Russie se réserverait sa liberté d’action. M. de Bismarck ne conclut que des accords casuels, où il y a des si et des mais, et nous ne pensons pas que le cabinet de Saint-Pétersbourg soit disposé pour le moment à en signer d’autres.

On se rappelle la grande émotion qu’avaient excitée, dans toute l’Allemagne, les affaires de Bulgarie, et avec quelle vivacité nombre de journaux épousèrent la cause d’un jeune prince allemand qu’on avait encouragé dans ses entreprises, dans ses espérances, et qu’on abandonnait subitement à sa funeste destinée. Le sentiment national en était froissé. Les feuilles officieuses avaient souvent répété aux Allemands que leur alliance intime avec l’Autriche les mettait en état de faire la loi à l’Europe, et ils apprenaient avec une pénible surprise que, pour prévenir des complications ou des combinaisons qu’on semblait redouter, il fallait user de complaisance envers la Russie et laisser l’Orient à sa discrétion.

Ces étonnemens et ces plaintes irritèrent profondément le chancelier, et son irritation ne s’est pas calmée, puisqu’il n’a pas cru déroger à sa dignité en lisant au Reichstag quelques-uns des articles qui l’avaient le plus chagriné et qu’il empruntait indifféremment aux feuilles qu’inspire M. Richter et à celle que dirige M. Windthorst. Il accusa ces journaux d’avoir tout fait pour précipiter l’Allemagne dans une guerre contre la Russie; il compara tout Allemand qui s’apitoie sur le sort du prince Alexandre et mène à grand bruit son deuil « au comédien qui versait sur le sort d’Hécube de vraies larmes artificielles et dont Hamlet disait : Que lui est Hécube pour qu’il pleure ainsi sur elle ?» — « Que nous sont les Bulgares? s’écria-t-il. Si je leur sacrifiais l’amitié du gouvernement russe, je mériterais d’être accusé de haute trahison. Que nous importent les affaires d’Orient? Y avons-nous des intérêts?.. A Dieu ne plaise que je vous accorde le triennat ! Dans trois ans d’ici quand il s’agirait de renouveler votre engagement, vous m’imposeriez peut-être la condition de déclarer la guerre à la Russie. MM. Windthorst et Richter étaient en droit de lui répondre : « Les journaux à qui vous dites vos secrets, et où de temps à autre vous daignez écrire vous-même, changent quelquefois de langage et varient leur style. Vous nous reprochez de n’être pas aujourd’hui de votre avis ; en avez-vous toujours été ? »

Si le chancelier de l’empire et les chefs de la majorité du Reichstag