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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/681

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sont en désaccord depuis quelques mois touchant la politique étrangère, ce sont surtout les questions constitutionnelles qui les divisent, et bien habile serait l’arbitre qui réussirait à accommoder leurs différends en matière de politique intérieure. M. de Bismarck n’a jamais dissimulé l’horreur que lui inspire le régime parlementaire et l’effroi qu’il ressent à la pensée qu’un jour, sous le futur règne, l’Allemagne pourrait avoir un gouvernement semblable à celui du royaume-uni. L’omnipotence royale a pour lui le caractère d’un dogme. Quand un souverain accorde une charte à ses peuples, cette concession est toujours conditionnelle il renonce volontairement à quelques-uns de ses droits pour les remettre à une assemblée, qu’il autorise à voter les lois et les impôts; ces droits lui seront conservés aussi longtemps qu’elle en fera un usage très modéré et que sa contenance sera très modeste. Si elle vient à s’oublier, à parler trop haut, on lui donne impérieusement des leçons d’humilité, et si elle ne les écoute pas, on tire d’un portefeuille rouge un décret de dissolution. C’est le seul compromis qu’on ait à lui proposer. Lorsque des députés ont des dissentimens avec leur maître, on les place dans l’alternative de se soumettre ou de se démettre, et le souverain rentre provisoirement en possession de son omnipotence. quant à l’appel au peuple, il consiste, en Angleterre et dans d’autres pays, à consulter les électeurs pour se régler sur leur avis. En Allemagne, leur réponse n’est tenue pour sérieuse que lorsqu’elle est telle qu’on la désire. — « Quel que soit le résultat des nouvelles élections, disait M. Richter, si le nouveau Reichstag exécute les volontés du chancelier, tout sera pour le mieux, et, dans le cas contraire, les choses n’en iront pas plus mal, car il dira à la nouvelle majorité ce qu’il nous a dit à nous-mêmes : Le peuple s’est trompé en vous envoyant ici. » Le véritable appel au peuple consiste à consulter la Pythie jusqu’à ce qu’elle dise ce que Philippe veut lui faire dire, et cela Cuit presque toujours par arriver. La Pythie se lasse, Philippe ne se lasse jamais.

M. de Bismarck n’est pas, en principe, l’ennemi des assemblées délibérantes; il les croit utiles et même nécessaires; cet homme de génie est trop de son siècle pour s’imaginer que, dans l’Allemagne d’aujourd’hui, un gouvernement absolu puisse subsister longtemps sans partager avec un corps élu le fardeau des responsabilités. «Il est bon, disait-il tout récemment, que la monarchie soit tempérée par la liberté de la presse et par les discussions d’un parlement. Les parlemens et Id presse peuvent rendre les rois attentifs à quelques-unes de leurs erreurs, mais leur pouvoir ne doit pas aller plus loin, sous peine d’empiéter sur le pouvoir exécutif, qui n’appartient qu’au souverain. » Le droit de remontrance et les lits de justice, voilà la meilleure des constitutions.