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dont il a donné tant de preuves. Mais si discrète que soit sa note, elle sera une bonne carte dans le jeu du chancelier, et M. Windthorst aura besoin de toute son autorité, de toute sa prudence, de sa dextérité consommée pour conjurer les défections et les défaillances, pour fortifier les indécis, les timorés, pour maintenir dans son parti cette discipline qui lui a valu tant de victoires.

Grands et petits moyens, M. de Bismarck ne négligera rien pour que les électeurs votent selon ses volontés. L’Europe est mise à une dure épreuve. L’année commençait bien, on annonçait une reprise des affaires ; il faut renoncer à cette espérance, et les industriels, les manufacturiers allemands en sont aussi chagrinés que les nôtres. Jusqu’au 21 février, les feuilles officieuses abonderont en nouvelles alarmantes. Si l’Allemagne venait à s’inquiéter sérieusement, on aurait bientôt fait de la calmer ; on lui dirait ce que disent les mères à leur enfant mutin à qui elles ont fait peur du loup : « Ne criez point ; s’il vient, nous le tuerons ! »

Pour comprendre toute l’importance qu’attache le chancelier de l’empire aux élections du 21 février, il faut penser au mot prophétique de M. Eugène Richter. M. de Bismarck se préoccupe de l’avenir, comme il convient aux hommes d’état qui entendent veiller eux-mêmes jusqu’à la fin sur les destinées de leur pays et sur l’œuvre de leurs mains. — « Prendre pour plate-forme électorale le renvoi de M. de Bismarck n’aurait pas le moindre sens, lisait-on l’autre jour dans le journal de M. Richter, car chacun sait que l’empereur Guillaume ne congédiera jamais le chancelier actuel ; mais si nous avons un changement de souverain pendant la prochaine période législative, le nouvel empereur aura une décision à prendre. » Qu’un jour M. de Bismarck dispose de la majorité du Reichstag, il pourra braver toutes les chances, tous les hasards d’un changement de règne, et ses jaloux, ses envieux devront s’y résigner, il sera hors d’atteinte. Pour remporter cette victoire qui lui tient au cœur, il se sert de beaucoup de choses, de beaucoup de gens et surtout de la France. C’est un honneur qu’elle n’avait point recherché, qu’elle déclinerait volontiers. Mais il faut savoir se rendre quelques services entre voisins. Nous avons droit à un dédommagement, et puisque le chancelier déclare que, dans le fond, il ne nous veut point de mal, il serait juste qu’avant peu il trouvât quelque occasion de nous témoigner sa gratitude.


G. VALBERT.