Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/692

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la tumultueuse intimité de l’une au commerce toujours égal et apaisant de l’autre, Mme de Montespan, sans qu’il le sût lui-même, était déjà remplacée dans son cœur; et, pour la remplacer, Mme de Maintenon, sans habileté ni perfidie, sans hypocrisie ni calcul, sans intrigue enfin ni manœuvres, n’avait eu seulement qu’à continuer d’être elle-même. Sa vertu n’était pas allée jusqu’à se déguiser ou se contrefaire pour maintenir Mme de Montespan dans la faveur du roi. Qu’après cela, une très honnête femme, qu’une femme vraiment vertueuse n’eût pas accepté de faire l’éducation des enfans deux fois adultérins de Louis XIV et de Mme de Montespan, on peut le dire, on doit le dire, comme aussi qu’elle eût d’abord découragé l’amour du roi, pour ne pas dire qu’au premier mot elle eût quitté sa charge. C’est ici la vraie tache qu’il y ait sur la mémoire de Mme de Maintenon ; et c’est le seul endroit sur lequel M. Geffroy passe peut-être avec trop d’indulgence. Disons-le donc sans essayer de la justifier sur l’exemple de l’une ou de l’autre; Mme de Maintenon, née subalterne, a porté dans toute cette affaire les sentimens d’une subalterne, et son rôle a été celui d’une servante qui s’introduit au lit de sa maîtresse. On ne l’avait point engagée pour consoler le roi des caprices de la favorite, pas davantage pour moraliser sur une liaison dont l’irrégularité lui avait seule donné accès auprès du prince. Elle sortit de sa place, qui n’était pas honorable, et elle en sortit par une trahison qu’aucune bonne intention ne saurait excuser, et non pas même celle de convertir le roi. Mais c’était à la cour de Louis XIV, où l’on ne se piquait pas beaucoup de délicatesse en amour, et, d’autre part, en fait d’honneur. Mme de Maintenon ne connaissait que celui du monde. Sa moralité était ordinaire, comme son esprit, comme son intelligence, et c’est ce que j’ai voulu dire en disant que je ne vois d’extraordinaire en elle que sa fortune.

Elle fut dans la fortune ce qu’elle avait été dans la médiocrité : extrêmement attentive sur elle-même et, plus que jamais, « sur ses gardes » contre ses passions. Même on eût dit qu’elle craignait de faire évanouir le plus glorieux et le plus imprévu des rêves, en essayant de le consolider. Pas de vains honneurs, nulle ostentation de crédit, un train de vie modeste, un air de demander pardon, et, parmi tout cela, dans la joie même du triomphe, des pensées de tristesse et de mort. » Je ne sais où vous prenez que je vous ai écrit une lettre mélancolique, — écrit-elle à son mauvais sujet de frère, au mois de juillet 1684, c’est-à-dire combien de mois après le mariage? — je n’ai aucun sujet de l’être et aussi personne ne l’est moins. » Mais elle ajoute aussitôt cette phrase significative : « Je vous ai parlé sur la mort, parce que j’y pense souvent et que je ne crois rien de bon à faire que de m’y préparer. » En effet, cette disposition à la mélancolie n’était pas nouvelle