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chez elle, et bien avant le temps de sa faveur, il est intéressant de rappeler qu’on en trouve des traces dans sa Correspondance. C’est une pente aux idées noires, c’est une impatience des lieux où elle se trouve, c’est une agitation sans but, sinon précisément sans cause, c’est une inquiétude d’esprit, c’est l’ennui, puisqu’il faut l’appeler par son nom, « cet inexorable ennui » qui fait le fond de la vie humaine, la maladie dont on ne guérit plus quand une fois on en a senti les atteintes : « Je m’ennuie de vivre ! » écrit-elle à l’un : « Si je croyais que vous pussiez contribuer à me faire vivre cent ans, dit-elle à l’autre, je vous dirais toutes les raisons que j’aurais de mourir! » jusqu’à ce qu’elle pousse enfin la plainte éloquente que Voltaire a citée : « Que ne puis-je vous faire voir l’ennui qui dévore les grands et la peine qu’ils ont à remplir leurs journées ! Ne voyez-vous pas que je meurs de tristesse dans une fortune qu’on aurait peine à imaginer, et qu’il n’y a que le secours de Dieu qui m’empêche d’y succomber ? » Sans doute, c’est le roi, c’est son naïf et monstrueux égoïsme, c’est l’étiquette, c’est la vie de cour et de représentation ; Marly, Versailles, Compiègne, Fontainebleau, sous des noms différens la même servitude, les mêmes visages, la même comédie; mais c’est quelque chose aussi de plus profond. Le destin l’a trompé; sa fortune, cette fortune qu’on lui envie, qui met la Palatine et Saint-Simon hors d’eux-mêmes, n’a été pour elle qu’un changement de misère; en croyant assurer son repos, elle n’a fait que croître son ennui, sa lassitude, son dégoût du monde et de la vie. Et c’est pourquoi, à mesure même que son pouvoir s’affermit et s’étend, elle s’en détache lentement, pour finir, « en mettant Dieu, comme elle dit, à la place des motifs qui la faisaient agir, » par s’absorber uniquement dans la dévotion.

C’est ce qu’il ne faut pas oublier, si l’on veut bien comprendre la nature et la portée de son rôle politique. Dans sa très curieuse et très intéressante correspondance avec cette autre aventurière illustre, la princesse des Ursins, qui, elle, a vraiment gouverné les Espagnes, Mme de Maintenon se défend constamment de prendre part aux affaires. « Vous ne me croyez donc pas, madame, quand je vous dis que je n’entre dans aucune affaire, et qu’on aurait autant d’éloignement pour me les communiquer que j’ai de répugnance pour les entendre. » Qu’elle parle ainsi par politique, pour ne point se compromettre elle-même, et puis pour décourager l’indiscrétion de sa correspondante, M. Geffroy le veut, et nous l’en croyons volontiers, mais non pas jusqu’à n’en plus croire Mme de Maintenon, En réalité, elle n’a ni le goût ni l’intelligence des affaires, elle n’y trouve point de plaisir, elle ne s’y intéresse pas, et, en effet, pour s’y intéresser activement, pour en prendre, pour en revendiquer sa part, il ne faudrait pas avoir ce fonds de dégoût infini des hommes et de la vie que nous avons vu paraître tout à l’heure en elle. Elle peut