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paraissent tirades, et dont tel passage fera dire aux épilogueurs : « Ni bien écrit ni bien parlé! » j’aperçois, de ci, de là, quelques généralités philosophiques dont le prix est médiocre; et quelques trivialités aussi, qui ne peuvent compter parmi les traits de mœurs : « Je me mange le sang, » n’est pas une de ces grossièretés à la mode qui classent une jeune femme parmi les élégantes. Mais, à l’ordinaire, que ce dialogue est vif! Que le vocabulaire en est juste, et la syntaxe imitée du mouvement de la vie! Et, dans les parties les moins heureuses de la pièce, comme dans les meilleures, circule un souffle réconfortant, qui est celui de M. Dumas. Aussi bien, c’est dans les meilleures, peut-être, que ce fait est le plus miraculeux : ces personnages, qui ne sont pas des fantoches, mais des créatures animées, et qui parlent pour leur compte, ils ont cependant le timbre et l’accent du maître. Ils nous émeuvent, ils nous intéressent comme des gens qui ont leur existence propre; et ils nous amusent, trois heures durant, comme ferait sans peine, chez lui ou chez nous, M. Dumas.

La personne de chaque comédien, elle aussi, aide au succès de cet ouvrage. Mlle Bartet, pour Francillon, est honnête, tendre, fière et vibrante à souhait. M. Febvre, un peu trop marqué par l’âge, a pourtant bien l’air d’un monsieur, et du monsieur qu’est Lucien de Riverolles. Mlle Pierson est une Mme Smith accomplie; M. Worms, un Stanislas plus parfait qu’on ne pouvait s’y attendre. M. Thiron prête au personnage du père un air de consistance; M. Coquelin cadet ne serait pas embarrassé de se placer comme valet de pied, ni M. Prudhon comme clerc de notaire. M. Laroche est un philosophe mondain très présentable; Mlle Reichenberg, plutôt ingénue que jeune fille, mais ingénue à la perfection, plaît encore au public; M. Truflier donne bien l’idée d’un clubman extrêmement las...

Mais plus que les interprètes, plus que l’œuvre elle-même, oserai-je dire, — quelles que soient ses qualités, — Ce qui nous charme ici, ou plutôt ce qui nous ravit, c’est l’auteur; c’est sa force, dont cette virtuosité nous donne la sensation ; c’est sa belle humeur, dont cette allégresse répandue n’est qu’une émanation directe. Tous, tant que nous sommes, nous admirons M. Dumas, nous l’aimons, et, si nous avons quelque chose à lui pardonner, nous lui pardonnons avec joie, parce que le petit-fils du héros de Brixen, quarante ans — ou presque — après son début dans la vie littéraire, montre encore, avec le tempérament d’un nègre, la raison la plus acérée, l’esprit le plus brillant, le plus dur et le plus net que puisse montrer un Parisien : jamais il n’a jeté plus de feux, ce génie, qui peut s’appeler, en somme, un diamant noir.


LOUIS GANDERAX.