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veut maintenir en principe : « Consultez donc les mœurs de la nation : l’adultère n’est pas un phénomène, il est très commun; c’est une affaire de canapé... Il faut un frein aux femmes qui sont adultères pour des clinquans, des vers, Apollon, les muses, etc. » Mais, si vous admettez le divorce pour incompatibilité de caractères, vous ébranlez le mariage; au moment de le contracter, on le sentira fragile : « Ce sera comme si l’on disait : Je me marie jusqu’à ce que je change d’humeur. » Ne prodiguez pas non plus les cas de nullité ; le mariage fait, il est grave de le défaire : « Je crois épouser ma cousine qui arrive des Grandes-Indes, et l’on me fait épouser une aventurière; j’en ai des enfans, je découvre qu’elle n’est pas ma cousine : le mariage est-il bon? La morale publique ne veut-elle pas qu’il soit valable ? Il y a eu échange d’âme, de transpiration. » Sur le droit des enfans, même majeurs, à des alimens : « Voulez-vous qu’un père puisse chasser de sa maison une fille de quinze ans? Un père qui aurait soixante mille francs de rente pourrait donc dire à son fils : Tu es gros et gras, va labourer ? Un père riche ou aisé doit toujours à ses enfans la gamelle paternelle ; » retranchez ce droit aux alimens, et « vous forcerez les enfans à tuer leurs pères. » — Quant à l’adoption, « vous l’envisagez en faiseurs de lois, non en hommes d’état. Elle n’est pas un contrat civil, ni un acte judiciaire. L’analyse (du juriste) conduit aux résultats les plus vicieux. On ne peut gouverner l’homme que par l’imagination; sans l’imagination, c’est une brute. Ce n’est pas pour cinq sous par jour, pour une chétive distinction qu’on se fait tuer ; c’est en parlant à l’âme qu’on électrise l’homme. Ce n’est pas un notaire qui produira cet effet pour douze francs qu’on lui paiera. Il faut un autre procédé, un acte législatif. L’adoption, qu’est-ce ? Une imitation par laquelle la société veut singer la nature. C’est une espèce de nouveau sacrement... Le fils des os et du sang passe, par la volonté de la société, dans les os et le sang d’un autre. C’est le plus grand acte qu’on puisse imaginer. Il donne des sentimens de fils à celui qui ne les avait pas, et réciproquement ceux de père. D’où doit donc partir cet acte? d’en haut, comme la foudre. » — Tous ses mots sont des traits de feu dardés coup sur coup[1]; depuis Voltaire

  1. Pelet de La Lozère, 63, 64. (Sur la différence physiologique de l’Anglais et du Français.) — Mme de Rémusat, I, 273, 392 : « Vous, Français, vous ne savez rien vouloir sérieusement, si ce n’est peut-être l’égalité. Et encore on y renoncerait volontiers si chacun pouvait se flatter d’être le premier. Il faut donner à tous l’espérance de s’élever... Il faut toujours tenir vos vanités en haleine. La sévérité du gouvernement républicain vous eût ennuyés à mort. Qu’est-ce qui a fait la révolution? La vanité. Qu’est-ce qui la terminera? Encore la vanité. La liberté n’est qu’un prétexte. » — III,. 153. — « La liberté est le besoin d’une classe peu nombreuse et privilégiée par nature, de facultés plus élevées que le commun des hommes; elle peut donc être contrainte impunément; l’égalité, au contraire, plaît à la multitude. » — Thibaudeau, 99 : « Que m’importe l’opinion des salons et des caillettes? Je ne l’écoute pas; je n’en connais qu’une, celle des gros paysans. » — Ses résumés d’une situation sont des chefs-d’œuvre de concision pittoresque : « Pourquoi me suis-je arrête et ai-je signé les préliminaires de Léoben? C’est que je jouais au vingt-et-un et que je me suis tenu à vingt. » — Ses percées sur les caractères sont du plus pénétrant critique : « Le Mahomet de Voltaire n’est ni un prophète ni un Arabe: c’est un imposteur qui semble avoir été élevé à l’École polytechnique. » — « Quand Mme de Genlis veut définir la vertu, elle en parle toujours comme d’une découverte. » — (Sur Mme de Staël) : « Cette femme apprend à penser à ceux qui ne s’en aviseraient pas ou qui l’avaient oublié. » — (Sur M. de Chateaubriand, dont un parent venait d’être fusillé) : « Il écrira quelques pages pathétiques qu’il lira dans le faubourg Saint-Germain; les belles dames pleureront et vous verrez que cela le consolera. » — (Sur l’abbé Delille) : « Il radote l’esprit. » — (Sur MM. Pasquier et Molé) : « J’exploite l’un et je crée l’autre. » — Mme de Rémusat, II, 391, 394, 399, 402, 389, III, 67.