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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/753

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déborde au-delà de toutes les proportions connues ou même croyables. — Il y a trois atlas principaux en lui, à demeure, chacun d’eux composé « d’une vingtaine de gros livrets » distincts et perpétuellement tenus à jour. — Le premier est militaire et forme un recueil énorme de cartes topographiques aussi minutieuses que celles d’un état-major, avec le plan circonstancié de toutes les places fortes, avec la désignation spécifique et la distribution locale de toutes les forces de terre et de mer, équipages, régimens, batteries, arsenaux, magasins, ressources actuelles et futures en hommes, chevaux, voitures, armes, munitions, vivres et vêtemens. — Le second, qui est civil, ressemble à ces gros volumes où, chaque année, nous lisons aujourd’hui l’état du budget, et comprend, d’abord les innombrables articles de la recette et de la dépense ordinaire et extraordinaire, impôts à l’intérieur, contributions de l’étranger, produit des domaines en France et hors de France, service de la dette, des pensions, des travaux publics et du reste, ensuite toute la statistique administrative, la hiérarchie des fonctions et des fonctionnaires, sénateurs, députés, ministres, préfets, évêques, professeurs, juges et leurs sous ordres, chacun dans sa résidence, avec son rang, ses attributions et ses appointemens. — Le troisième est un gigantesque dictionnaire biographique et moral, où, comme en un casier de haute police, chaque individu notable, chaque groupe local, chaque classe professionnelle ou sociale, et même chaque peuple a sa fiche, avec l’indication abréviative de sa situation, de ses besoins, de ses antécédens, partant de son caractère prouvé, de ses dispositions éventuelles et de sa conduite probable. Toute fiche, carte ou feuillet a son résumé; tous les résumés partiels, méthodiquement classés, aboutissent à des totaux, et les totaux des trois atlas se combinent pour fournir à leur possesseur la mesure de sa force disponible. — Or, en 1809, si grossis que soient les trois atlas, ils sont imprimés en entier dans l’esprit de Napoléon ; il en sait, non-seulement le résumé total et les résumés partiels, mais aussi les derniers détails ; il y lit couramment et à toute heure ; il y perçoit en bloc et par le menu les diverses nations qu’il gouverne directement ou par autrui, c’est-à-dire soixante millions d’hommes, les diverses contrées qu’il a conquises ou parcourues, c’est-à-dire soixante-dix mille lieues carrées, d’abord la France, accrue de la Belgique et du Piémont, ensuite l’Espagne d’où il revient et où il a mis son frère Joseph, l’Italie du sud où, après Joseph, il a mis Murat, l’Italie du centre où il occupe Rome, l’Italie du nord où Eugène est son délégué, la Dalmatie et l’Istrie qu’il a jointes à son empire, l’Autriche qu’il envahit pour la seconde fois, la Confédération du Rhin qu’il a faite et qu’il dirige, la Westphalie et la Hollande où ses frères ne sont que ses lieutenans, la