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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/78

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une vraie province française, alors la colonisation n’était plus une affaire de gouvernement ; elle venait toute seule. »

Voilà le rêve : voyons la réalité. Le maréchal était allé à Mascara, mais il n’avait pas jugé à propos de s’y établir ; il avait ébranlé le pouvoir de l’émir, mais il savait bien qu’il ne l’avait pas renversé. Il était le premier à le reconnaître : « Au retour de Mascara, Abd-el-Kader était-il soumis, sa puissance anéantie ? Non, quoiqu’il l’eût dit lui-même un moment, quoiqu’il eût renvoyé chez elles les tribus qu’il avait soulevées ; car, quelques jours après, il courait vers l’ouest, il soulevait le pays et se réunissait à son caïd Ben-Nouna, qui tenait Tlemcen assiégé. » Il fallait donc courir au secours de Tlemcen d’abord, après quoi on irait à Constantine. « Si vous ne prenez pas Constantine, si vous abandonnez Tlemcen, l’Afrique est perdue pour nous. Tlemcen est la porte par laquelle le Maroc vous enverra tous les ambitieux qui voudront troubler votre possession ; Constantine est celle par où passeront toutes les tentatives de Tunis suscitées par nos rivaux. Si vous n’occupez pas ces deux Gibraltar de la régence d’Alger, vous n’en serez jamais les maîtres. Il faut à la régence Constantine et Tlemcen, comme il fallait au royaume de France Calais et Bordeaux. Tant que les Anglais ont occupé ces deux villes, ç’a été sur notre terre une guerre d’extermination. »

Parmi ses excès d’imagination, il faut avouer que le maréchal ici voyait juste. Son tort a été, n’ayant pu persuader au gouvernement et aux chambres qu’il avait raison, de s’opiniâtrer dans l’exécution de ses desseins et de s’y jeter à corps perdu, avec des moyens qui n’y pouvaient pas suffire. Réciproquement le tort des pouvoirs publics était qu’avisés des projets du maréchal, sans s’y opposer ni les approuver formellement, ils le laissaient faire, quitte à lui reprocher, en cas d’échec ou seulement de demi-succès, d’avoir agi sans ordres et de son propre chef. Il se plaignait justement de cette molle attitude, qui n’était, à ses yeux, ni digne ni loyale. « Si je pressais le gouvernement de s’expliquer, a-t-il dit, et proposais des plans qui pouvaient conduire à un résultat, on me répondait verbalement d’une manière satisfaisante, et par les dépêches officielles on ne disait ni oui ni non; on acceptait avec des restrictions, des contradictions, des doutes, etc. Pendant ce temps les choses se faisaient, mais sans ensemble, sans vigueur, sans les moyens nécessaires. Aussitôt une chose faite, au lieu de lui donner de la suite, comme je devais l’espérer, on se plaignait de ce qui avait été fait, on me désavouait, on rappelait les troupes, on ordonnait des réductions dans les dépenses. »

Il en fut ainsi de l’expédition que le maréchal Clauzel avait décidé de faire pour secourir Tlemcen. « j’ai vu, lui écrivait, le