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contribuables à se plaindre, en leur donnant du jour au lendemain de nouveaux chefs, on risque d’augmenter le désordre et la misère publics. Les Arabes n’obéissent pas au premier indigène venu; leurs chefs sont le plus souvent descendans d’anciennes familles respectées, sinon respectables, des personnages de leur choix qu’ils suivent jusque dans l’exil. Si ceux que nous leur imposons n’ont pour titres que leur dévoûment à nos armes, ils les subissent, mais, sans rien dire, en choisissent d’autres, des chefs occultes qui organisent l’insubordination. — Nous avons donc tout intérêt à maintenir, quand ils veulent bien s’y prêter, et c’est le cas par excellence en Tunisie, les caïds dans leurs commandemens naturels ; à les maintenir, mais en même temps à leur laisser quelque dignité, un pouvoir stable et qui ne soit pas dérisoire : autrement ils ne nous seront d’aucun secours : sans action sur leurs administrés, ils résigneront leurs fonctions s’ils ont quelque caractère; leur situation, déjà bien délicate vis-à-vis de nos colons, ne sera pas tenable s’ils ne sentent pas à Tunis un appui solide, si leur autorité, sur laquelle, en somme, repose toute la nouvelle organisation, n’est pas reconnue des Arabes et prise au sérieux par les Européens.

Une commission d’enquête a parcouru toute la régence afin de permettre au gouvernement du protectorat de faire ses choix avec discernement; — L’accusation comme la défense a été entendue par ce tribunal exceptionnel ; — Des sentences ont été rendues : les caïds reconnus coupables ont été condamnés à restitution, remplacés par ceux qui inspiraient le plus de confiance. Nouveaux ou anciens, tous sont astreints à résider dans leurs provinces, où ils doivent faire exécuter les lois, garantir la paix. — On comprend quelle faute nous commettrions en les affaiblissant, en les déplaçant à la légère, en avilissant en un mot par notre défiance des fonctions que les meilleurs sont jusqu’à présent fiers de remplir.

Est-ce à dire que nous devons leur laisser la bride sur le cou, fermer les yeux sur leurs faiblesses ? bien loin de là : — nous serions leurs dupes. Les caïds sont seuls en état d’administrer la Tunisie, présentement et pour longtemps encore, — mais ils ne l’administreront à leur honneur et à notre satisfaction que si nous sommes à côté d’eux — pour les regarder faire, — Les regarder, les suivre, les surveiller. Ainsi les rôles sont distribués : eux seuls paraissent, agissent; — Les indigènes leur obéissent, — Comme autrefois ; — nous sommes les juges : à nous viennent ceux qui se plaignent, à nous le beau rôle d’arbitres entre le peuple et ceux qui le gouvernent, le prestige de la toute-puissance et de l’équité. — Ceux-là seuls qui ne comprennent pas comment notre protectorat est organisé peuvent réclamer contre la part faite à la France dans la nouvelle administration ; elle a la plus belle, la plus noble, la moins