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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/811

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musulman et par la France et par d’autres nations aujourd’hui, n’en existait pas moins avec tous ses excès en 1882 à Tunis ; il nous suffira, — pour le rappeler sans entrer dans aucun détail, — De dire que le héros de l’affaire véritablement honteuse de l’Enfida était un protégé ; — De même le général Hamida-Ben-Ayed.

Tous les privilèges ayant dégénéré en abus dans la régence, tels étaient les effets qu’arrivèrent à produire peu à peu les capitulations ; ces armes défensives, précieuses quand les Européens sont les plus faibles, deviennent entre leurs mains des instrumens de combat et d’oppression le jour où ils sont tout-puissans, et ce ne sont pas les meilleurs d’entre eux qui s’en servent le plus.

Les indigènes, de leur côté, se fortifiaient comme ils pouvaient contre des lois qui n’avaient de rigueurs que pour eux ; — par la ruse, la corruption, la résistance passive, ils trouvaient mille moyens de les tourner. Le désordre était passé dans les mœurs à tel point que des lois même excellentes semblaient détestables par la façon dont on les appliquait ; une transformation sur ce point s’imposait, — mais dans les habitudes du pays plus que dans les lois elles-mêmes, — on eut le bon sens de le comprendre. Le vieil édifice de la législation n’était pas plus à dédaigner que celui de l’administration tunisienne ; condamné à la destruction par ceux qui n’en apercevaient que les brèches, il reposait encore solide et remarquable en plusieurs parties sur ses fondations vénérées; mais, comme on arrache très prudemment, de peur d’être enseveli tout à coup sous un éboulement, le lierre, les arbres mêmes qui poussent dans des murailles abandonnées, il fallait en extirper un à un des abus séculaires, y faire circuler largement l’air et la lumière qui n’y pénétraient plus qu’à peine. Nous n’avions d’ailleurs pas à hésiter sur cette question, et, quelles qu’eussent été nos intentions, nous étions en tout cas obligés de laisser subsister, au moins dans l’ensemble et pour quelques années, les lois de la régence, puisque nous n’apportions rien à la place. La justice arabe n’est pas une institution qu’on puisse songer à remplacer du jour au lendemain ; elle a, nous le savons, pour base la religion, son livre est le Coran, son tribunal la mosquée. Comme toutes les prescriptions du prophète, la loi est l’objet de commentaires et d’interprétations qui varient sans cesse, mais, telle qu’elle est, essentiellement incertaine, elle est familière aux indigènes et son origine est sacrée; si, par un amour excessif de la symétrie ou de l’équité, nous nous avisions de lui substituer la nôtre ; si nous cédions à des manifestations plus ou moins spontanées comme il s’en produit parmi les Algériens en faveur du code civil, — nous nous mettrions à dos tous les Tunisiens. Les Arabes sont rarement satisfaits ; en se plaignant de leur part